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son chef, enfin qu’il opposait le démenti le plus formel à ces odieuses allégations. « Puisque les agens de M. Tausch, a-t-il dit, ont l’audace d’accuser mes fonctionnaires et moi, j’ai eu recours au grand jour et j’ai tenu à flétrir ces manœuvres. » Et il les a flétries, en effet, en termes tels que leurs auteurs ne s’en sont pas relevés. L’effet a été immense. Les voiles ont été brusquement, impitoyablement déchirés. On a vu tour à tour les accusés hésiter, balbutier, se troubler, avouer ou mentir, mais mentir de manière à donner plus d’éclat à la vérité qui apparaissait presque aussitôt après. Lutzow a tout rejeté sur Tausch, et on a vu bientôt dans ce dernier le principal coupable, sinon même le seul moralement. De simple témoin, il n’a pas tardé à se trouver accusé, et lui-même a constaté, en s’en plaignant d’abord avec quelque arrogance, le changement de rôle que la marche même de l’interrogatoire lui imposait et faisait ressortir de plus en plus. « Prenez garde, lui a dit à un moment le président, vous avez prêté serment : si vous ne dites pas la vérité, les travaux forcés vous guettent. » Tausch ne pouvait plus dire la vérité, elle était trop écrasante pour lui. Alors s’est passée une scène vraiment dramatique, comme nous en avons vu, hélas ! il n’y a pas bien longtemps encore dans nos propres prétoires. « Tausch, demande le procureur général, avez-vous dit au journaliste Levysohn que Leckert était reçu au ministère des affaires étrangères ? — Jamais, répond Tausch. » Aussitôt, Levysohn est introduit. Il déclare avoir reçu la visite de Tausch. Celui-ci l’a prié de publier un article, en ajoutant que son auteur, Leckert, avait été reçu par M. de Marschall qui le lui avait inspiré. Dans l’auditoire l’émotion est à son comble. Le procureur général ordonne l’arrestation de Tausch pour faux témoignage. Celui-ci, livide, défait, proteste qu’il a dit la vérité, mais l’évidence contraire l’accable. Les peines auxquelles Leckert et Lutzow ont été condamnés ensuite n’ont pas grande importance. Le premier procès est fini : que sera le second ?

Comme tous les accusés de son espèce, comme tous les prisonniers dans sa situation, Tausch a annoncé qu’il dirait tout. Qu’a-t-il à dire ? Rien peut-être, mais qui peut le savoir ? Tausch a été mêlé, pendant de longues années, à des affaires de police qui n’ont peut-être pas respiré toujours la plus pure délicatesse. A un moment du procès, — et le fait est trop grave pour n’être pas signalé, — le président lui a demandé le nom d’une personne qui lui aurait communiqué un renseignement précieux, renseignement qu’il s’était empressé de communiquer lui-même à un journaliste. Tausch ayant invoqué l’obligation du secret professionnel, le président l’a invité à se rendre auprès de son supérieur, le président de la police, pour lui demander de l’en délier. A son retour, Tausch a déclaré que son chef s’y était refusé. De qui s’agit-il ? On comprend que l’opinion publique se pose