Page:Revue des Deux Mondes - 1896 - tome 138.djvu/953

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


CHRONIQUE DE LA QUINZAINE.



14 décembre.


Le pays de l’Europe où l’opinion publique est, depuis quelques mois, le plus violemment agitée, est à coup sûr l’Allemagne. Les révélations y pleuvent, révélations de tous les genres, qui jettent de vives lumières, tantôt sur les secrets d’État de l’ordre le plus élevé, tantôt sur les plus noirs mystères de la police. Où s’arrêtera-t-on dans cette voie ? Il est également dangereux de montrer de trop près les sommets ou les bas-fonds d’une grande société politique. Les choses qui s’y passent ont généralement besoin d’une certaine discrétion. Nous avons éprouvé en France, autant sinon plus que partout ailleurs, les inconvéniens d’une publicité excessive, et nous voudrions espérer que notre tour est passé : en tout cas, celui de quelques autres commence. Loin de nous la pensée d’y chercher simplement des sujets de scandale ! S’il n’y avait pas autre chose dans le procès qui vient de se dérouler ù Berlin, et qui n’est probablement pas fini, nous n’en dirions rien : assez d’autres sujets plus intéressans solliciteraient de préférence notre attention. Nous n’avons rien dit l’année dernière de M. de Hammerstein, un des plus fermes piliers du trône et de l’autel, qui s’est trouvé pourri jusqu’au cœur et de la pire des pourritures, de celle qui provient de l’improbité personnelle. Avec un peu d’indulgence, on pouvait croire qu’il ne s’agissait là que d’un fait individuel. Il y a des malheureux partout. Mais l’émotion produite par le procès Leckert-Lutzow est d’une autre nature. Il s’agit, cette fois, d’une institution d’État qui a longtemps fonctionné dans des conditions ignorées, et dont les manœuvres sont tout d’un coup mises au grand jour. La police la plus compliquée laisse apparaître ses trames les plus ténébreuses, et la première impression qu’on en éprouve est qu’on y voit très trouble et qu’on ne comprend pas très bien. Il y a encore là un héritage du passé, de ce passé où tout était embrouillé, enchevêtré, fait de mines et de contre-mines, d’assurances et de réassurances, de traités et de contre-traités. Qu’il y ait eu aussi, à cette époque, une police et une contre-police, quoi de plus naturel ? Un esprit prodigieusement délié et d’ailleurs sans scrupules, une main très ferme et qui ne connaissait ni tâtonnemens, ni hésitation, mettaient de l’ordre dans ce chaos. L’in-