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l’œuvre du peintre moderne de la Terre Sainte. Mais l’art de Byzance comme l’art de la Renaissance font penser à Jehan Foucquet, puisque, à l’exemple de Cimabuë et de Giotto, il dédaigna les vieilles traditions byzantines et fut en quelque sorte un précurseur de la Renaissance. N’est-ce pas en effet dès 1440, à l’âge de 25 ans, que le peintre de Tours, déjà initié à tous les secrets de l’art à l’école des maîtres enlumineurs et miniaturistes de cette ville, est appelé à Rome afin de faire le portrait du pape Eugène IV, destiné à l’église de la Minerve et peindre celui de Charles VII au Vatican sur ces mêmes murs où soixante-dix ans plus tard Raphaël devait exécuter la Captivité de saint Pierre ? Jehan Foucquet ne fut pas seulement un miniaturiste de talent ; il fut aussi l’initiateur en peinture d’un art élevé. On l’a dit justement, « il a encore le charme, la candeur, la piété du moyen âge, mais il a déjà le relief et la variété d’expression qui seront les caractères de la Renaissance. La France a conservé trop peu de tableaux du peintre de Notre-Dame de Tours et des Grandes Chroniques de France. Mais grâce au duc d’Aumale, quelques-uns des plus beaux morceaux de l’œuvre du « bon peintre et enlumineur du roi Louis XI » sont dès maintenant à jamais revenues de Francfort et restitués à la France, ou à Chantilly, ce qui est la même chose.

Ce sont les quarante miniatures[1] d’un Livre d’Heures, exécutées à la demande d’Étienne Chevalier, trésorier de Charles VII, pour lequel il devait également illustrer de 91 miniatures la compilation de Boccace : Les cas des nobles hommes et femmes malheureux, commençant, on s’en doute, avec Adam et Eve, et se prolongeant jusqu’aux contemporains de l’auteur. Les scènes charmantes du Livre d’Heures d’Etienne Chevalier ont été reproduites par l’héliogravure dans ce magnifique volume. Et si ce n’est pas l’œuvre elle-même qui nous est offerte sous cette forme monochrome, il permettra de juger pourtant de ces miniatures où le sentiment de la vie se fait jour à travers la pieuse timidité des anciennes écoles, où le décor fait revivre le Paris du XVe siècle, avec le Donjon de Vincennes, la Sainte-Chapelle, Notre-Dame, et dans les personnages nous montrent Etienne Chevalier dévotement agenouillé devant la Vierge, Charles VII entouré de sa garde écossaise, souvenirs inestimables de notre histoire et que nous ont conservés ces exquises compositions, qui appartiennent aux dernières années de la vie du peintre ordinaire de Charles VII, d’Agnès Sorel et de Louis XI, et révèlent la pleine maturité de son talent. M. A. Gruyer, qui l’année dernière s’était chargé du commentaire sur la Peinture au château de Chantilly, était tout désigné par sa compétence pour présenter ce nouvel ouvrage extrait des trésors de cette incomparable demeure, et il l’a fait avec son talent et son goût si appréciés.

  1. Chantilly. — Les quarante Fouquet, par M. F.-A. Gruyer, 1 vol. in-4o, orné de 40 héliogravures ; Plon.