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REVUE LITTÉRAIRE

M. ANATOLE FRANCE

Lorsque l’historien des origines du christianisme, au terme d’une carrière vouée à la science, s’avisa de découvrir la vanité de toutes choses, il souhaita de trouver pour sa pensée flottante une forme qui en exprimât les nuances infinies. Il ne dédaignait plus le suffrage des esprits superficiels, et rêvait, avec un plaisir presque sensuel, de voir ses livres aux mains élégantes des patriciennes. Il s’efforça d’être frivole. Il n’y réussit pas complètement. Un pli différent était pris et depuis trop longtemps. L’érudit avait trop accoutumé de conduire son esprit d’après des méthodes sévères ; il était trop familier avec les subtilités de l’exégèse et de la philosophie scolastique ; il avait trop vécu autour du Pentateuque ou dans le XIVe siècle ; il avait trop peu vécu dans le monde ; les femmes ne recherchent pas beaucoup les vieux hébraïsans. Il y a bien de la grâce dans ces dialogues, dans ces drames de fantaisie, dans ces fictions légères qu’Ernest Renan jetait sur ses idées comme un voile brillant. Encore y voit-on la fantaisie se perdre dans des brouillards indécis, et il arrive que la fiction ne s’anime pas. Ces livres d’une perversité séduisante où Renan eût aimé à écrire la bible de la moderne incrédulité, un autre que lui les a faits. Il n’y fallait pas moins de pénétration morale que d’habileté dans la traduction plastique. Ce sont les qualités mêmes de M. Anatole France, qui en possède d’autres par surcroît, nul écrivain parmi ceux de sa génération n’ayant reçu en plus grand nombre des dons plus heureux. Engagé, au temps de ses débuts, dans les rangs des parnassiens, il était artiste et poète comme eux et leurs vers n’ont pas un coloris plus varié ni une