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nationales, rend à l’armée permanente son ancien rôle et son premier devoir : accourir au plus vite et dans toute sa cohésion pour frapper les premiers coups avec une vigueur foudroyante. Elles vont au système conscient des alarmes toujours accrues sous la menace des intérêts plus exposés, répercutées par une presse avide d’informations, grossies par la soudaineté des événemens ; au système destiné à briser le moral de l’adversaire par l’impétuosité de l’irruption, à la première partie risquée avec tous les atouts, comme si elle devait emporter le succès de toute la campagne. Il est toujours préférable de signaler un danger que d’épaissir les voiles autour d’une erreur. Or, c’est une erreur de croire que les troupes de seconde ligne rétabliront la situation compromise par celles de première, que la retraite des unes n’influera pas sur le moral des autres, comme sur celui du pays tout entier. C’est une erreur capitale, dès qu’il s’agit d’une nation nerveuse et impressionnable comme la nôtre, de ne pas rechercher à tout prix la faveur d’un début heureux. Et cette erreur s’accroît ici de l’attitude défensive qui nous est commandée en principe, de la distance trop diminuée qui sépare Paris de la frontière et, s’il y a lieu, de la nécessité d’attendre l’entrée en campagne d’une armée amie, retardée dans sa concentration par l’insuffisance de ses voies ferrées et la disproportion de ses parcours. Dira-t-on que l’armée ne s’émeut pas d’un état de choses aussi inquiétant, qu’on n’y tend pas à réagir contre cette outrance du nombre, qu’on n’y porte pas sur les régimens de réserve le jugement auquel ils ont droit ? Depuis longtemps l’opinion des militaires est faite sur la question, seulement elle ne sort pas des quartiers, ou si elle s’égare en rapports qui résonneraient comme une alarme, ils ne sortent plus des directions du ministère. C’est qu’en ce pays, contrairement à ce qui se passe de l’autre côté des Vosges, où l’intérêt militaire se confond avec la raison d’Etat, il n’est qu’un intérêt sacré : celui de la politique. Elle règne en maîtresse tellement souveraine qu’il serait presque impossible à un ministre de la guerre de venir dire au parlement : « Nous avons fait fausse route, laissez-nous retourner en arrière, reprendre la loi de recrutement de 1872, en ne gardant de celle de 1889 que la durée du service, sur laquelle on ne peut plus revenir, mais qu’on n’abaissera jamais davantage. » Retournons aussi à la loi des cadres de 1875 et à ces quatrièmes bataillons que l’Allemagne nous a pris, ce qui témoigne peut-être en leur faveur, et qui nous rendraient vis-à-vis d’elle une égalité d’unités que nous avons perdue. C’est vers l’accroissement des effectifs de paix que doit tendre notre effort ; nous avons fait le contraire jusqu’ici, car c’est invariablement sur eux qu’ont porté les économies qui nous étaient imposées.