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V

Les différences des systèmes allemand et français s’accusent donc fort nettement. Là-bas la sollicitude se concentre sur les troupes actives et la sélection de composition des forces de première ligne. Ici l’organisation des réserves prime toutes les autres considérations ; elle s’achète par la désorganisation des troupes de première ligne, afin d’obtenir la mise sur pied plus rapide des armées de seconde ligne. De la part des Allemands rien n’a été oublié pour augmenter la qualité des troupes de premier choc : leurs cadres actifs sont au grand complet, tous les sous-officiers et caporaux sont rengagés, l’élément actif garde la prépondérance nécessaire sur l’élément de réserve, et ce dernier fourni par les plus jeunes classes, grâce à sa libération plus récente et au contact permanent créé par le recrutement régional, retrouve au régiment un commandement dont il est connu et un milieu dont il n’a pas désappris les habitudes.

Sur tous ces points, chez nous, la qualité de ces troupes subit des réductions sensibles. Par le fait de la mobilisation des régimens de réserve, par celui de la loi du 25 juillet 1887 qui a supprimé le quatrième officier des compagnies du type renforcé, nos compagnies d’infanterie présentent un déficit de deux officiers actifs sur les compagnies allemandes. Parmi les gradés inférieurs, la proportion des rengagés va toujours s’affaiblissant depuis la loi du 25 juillet 1893 qui a supprimé les adjudans de bataillon et réduit la gratification annuelle. Les soldats actifs sont noyés dans les réservistes, et enfin ceux-ci, empruntés à un nombre invraisemblable de classes, se présentent sans parité d’âge et d’origine, sans liens antérieurs avec leurs chefs, ni avec eux-mêmes. Un peu de la qualité perdue aura été reportée, il est vrai, des troupes de première ligne sur celles de seconde, qui, en outre, auront bénéficié des réunions du temps de paix dont les Allemands se dispensent pour les leurs.

Le but poursuivi des deux parts apparaît donc ainsi : tandis que les Allemands cherchent à s’assurer à tout prix le succès dans le premier choc, nous nous organisons de notre mieux pour réparer l’insuccès des premières rencontres. Peut-être, en ce qui nous touche, l’apparence contredit-elle la vérité des intentions, mais personne ne soutiendra qu’elle ne ressorte de la logique des faits et c’est ici d’après les faits que nous devons juger les deux conceptions en présence. Nos préférences ne sauraient être douteuses. Elles vont au système qui, s’élevant au-dessus des incohérences de composition, de valeur, de vivacité des lourdes mobilisations