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vivre et s’enraciner cette erreur que le nombre tenait lieu de tout, qu’il devenait l’unique et indispensable facteur des guerres à venir ? Il faut que la contagion des idées opère comme un cyclone bien puissant, susceptible de déraciner bien des convictions anciennes, de bouleverser les expériences, de ruiner les assises de l’histoire, pour que ces soldats, membres du Conseil supérieur de la guerre, se soient trouvés unanimes derrière ce ministre civil, que sa lumineuse intelligence eût sans doute empêché de passer outre, s’il n’avait été fort de l’appui de cette adhésion formelle !

C’est alors, durant plusieurs années, que les grandes manœuvres semblèrent poursuivre ce résultat — par la voie d’ordres du jour pompeux, par la réclame des journaux — d’accréditer l’idée de la quasi-supériorité des divisions de réserve sur les troupes de l’active. Mais la vérité finit toujours par reprendre ses droits. Bien qu’on bourrât sans pudeur ces formations improvisées d’officiers de l’armée active, afin de leur donner quelque consistance, il fallut bien s’apercevoir qu’elles avaient tant de peine à se tenir ensemble, que, lorsqu’elles feraient retour à leurs seuls cadres naturels, cela ne tiendrait plus du tout. La critique en fut même si amère, qu’elle eut un certain retentissement ; mais devait-elle atteindre ceux qui avaient été qualifiés trop crûment de demi-bourgeois, ou ceux qui avaient remis ces responsabilités disproportionnées en ces mains notoirement insuffisantes ?

L’on se décida donc à comprendre que, si la présence de l’officier de réserve, dans une compagnie encadrée de ses gradés naturels, était sans grande conséquence, elle pouvait devenir tout à fait dangereuse quand, livré à ses seules lumières, il aurait à faire acte de commandement à la tête de la compagnie elle-même. Or, du moment que les régimens de réserve étaient nés, l’on dut s’ingénier, coûte que coûte, à les rendre viables ; et l’on dépouilla sans ménagement les régimens actifs à leur profit. Ceux-ci y perdirent, pour le jour de la mobilisation, une proportion de gradés qu’on n’ose pas écrire. La razzia fut complète.

Cependant, avec les adjudans-majors disparusses compagnies réduites à deux officiers, cela ne suffisait pas encore. Trop d’emplois importans continuaient à être tenus par les officiers de la réserve ou de l’armée territoriale. Une augmentation de cadres fut jugée nécessaire ; elle fut demandée au Parlement ; et une nouvelle loi des cadres naquit modestement en 1893, qui doublait les emplois du cadre complémentaire en officiers supérieurs et en capitaines, quoiqu’elle ne résolût pas la question de la mise sur pied des régimens de réserve, autrement qu’en dévalisant les