Page:Revue des Deux Mondes - 1896 - tome 138.djvu/912

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

même, en cas de guerre, il saurait protéger sa concentration et lui montrer comment des divisions de fer font tête au danger, d’où qu’il vienne, et avec quelque caractère de gravité qu’il se présente.

Mais à côté de ces marques d’une prévoyance éclairée prodiguées à notre grand corps frontière, de manière à ce qu’il puisse soutenir la menaçante progression des forces qui lui sont opposées, avons-nous développé la qualité de nos troupes de première ligne, dans le sens d’une comparaison analogue à affronter ? Si prudemment qu’on doive traiter ces choses, lorsque deux systèmes sont en présence, qu’ils divergent de plus en plus par les tendances, qu’ils sont entrés dans le domaine public, — parce qu’ils se réfèrent à une question générale d’organisation permanente et non à un détail particulier de mobilisation transitoire, — ils s’imposent à l’étude. Et plus le sujet semble grave, moins il faut reculer à l’aborder, attendu que, si la vérité est d’un côté, elle n’est pas de l’autre, et qu’il est capital de savoir où elle se trouve ?


III

Puisqu’il était admis qu’il fallait opposer à la Prusse le système militaire suivant lequel elle nous avait vaincus, nous étions allés, pour nous donner le nombre, jusqu’à la limite imposée par les exigences de la situation et compatible avec les ressources du pays, en prenant comme assises de notre état militaire la loi de recrutement de 1872 et la loi des cadres de 1875. Le principe du service obligatoire, entré dans les mœurs, et la prolongation des obligations militaires jusqu’à l’âge de quarante ans nous donnaient, sans parler des troupes d’Algérie et des colonies, de quoi entretenir largement dix-huit corps d’armée de forces actives qui se doublaient, à la mobilisation, par l’appel des formations de l’armée territoriale. Tout paraissait logique dans cette organisation. Les législateurs avaient fait la part des intérêts contraires dans leur œuvre compliquée. Par la création de la deuxième portion du contingent, ils fournissaient au principe trop absolu de l’incorporation générale la soupape réclamée par les nécessités du Trésor, et, en fondant sur le tirage au sort la désignation des privilégiés de ce service militaire restreint, ils marquaient cette mesure d’exception au bon coin de la justice et de la saine démocratie. En arrêtant à la trentième année les obligations militaires de première urgence, et en écartant de ceux qui l’atteignaient l’aléa des dangers réservés aux troupes les plus exposées, ils avaient sagement discerné le moment où l’homme se fonde un