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mouvemens ont parfois une raideur d’automates. Quelques-uns gardent encore une physionomie ouverte : l’intelligence y jette de furtives lueurs. Le crime de Huanchaca n’est pas tout à fait consommé. D’autres sont usés, finis, il ne reste plus qu’à leur prendre mesure pour leurs bières.

Lorsque nous fûmes prêts, on remit à chacun de nous une torchère suspendue par un fil de fer, et notre troupe s’achemina à travers les flaques d’eau, le long d’un sombre couloir. Au bout, laçage de l’ascenseur nous attendait. On s’y entassa comme on put. Une petite pluie glacée suintait sur nos têtes, et nous étions si pressés les uns contre les autres que les flammes rouges de nos lampes léchaient nos vêtemens. Cornejo donna le signal et ras-censeur commença de descendre. Nous eûmes l’impression d’une fuite vertigineuse. Nous ne descendions pas, nous nous abîmions. Je suivais sur ma montre l’aiguille des secondes. A la soixante-deuxième, nous stoppâmes. Je crus que nous faisions une halte à un premier étage, mais nous étions arrivés. En une minute, l’ascenseur avait parcouru trois cent vingt-six mètres.

L’endroit où il nous déposait était humide et presque froid : un marécage souterrain. Au fond, à gauche, une entrée de grotte creusée dans la roche. Nous nous y engageâmes : la galerie qui s’étendait devant nous avait environ un kilomètre et demi de longueur. Des deux côtés, placées à intervalles rapprochés, d’énormes poutres, sur lesquelles reposaient des solives transversales, en soutenaient la voûte et les parois. Cette partie de la mine m’a semblé soigneusement boisée, mais je sais qu’il n’en est pas de même de toutes les autres. Certaines galeries menacent ruine, et l’on frémit en pensant aux existences humaines qui s’aventurent sous de vacillans échafaudages. Quelque temps après mon départ de Pulacayo, j’appris que six ouvriers y avaient été ensevelis. Leur mort a coûté soixante bouteilles d’eau-de-vie à la Compagnie. Si les actionnaires n’y veillent, ils se ruineront en alcool.

Je ne sais rien de plus impressionnant que cette promenade sous trois cents mètres de terre dans une obscurité que les lampes rouges ensanglantent, et le long de ces galeries muettes, qui ont un air de catacombes. Là où nous passons, le filon courait jadis : des richesses pétrifiées ont sauté sous le pic et la dynamite du mineur. Elles circulent maintenant à travers le monde : ce sont ces pièces d’argent vers lesquelles s’aimantent toutes les convoitises. Et que d’hommes ont laissé leur vie dans cet étroit corridor ! A mesure que nous avançons la chaleur devient plus intense. Nous marchons sur des rails, où roulent d’ordinaire les wagonnets chargés de gangues, et, quand notre pied s’en écarte, nous nous enfonçons dans de la boue. La mine est en ce moment envahie par l’eau, et