Page:Revue des Deux Mondes - 1896 - tome 138.djvu/868

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pendant l’automne et l’hiver, l’eau mine les talus, défonce les venelles, creuse partout des fondrières. Jamais la Providence n’a donné de plus éclatant témoignage de sa sympathie pour les ivrognes qu’à Pulacayo. Sans elle, une bonne moitié des habitans se casseraient les jambes en temps ordinaire, et presque tous au carnaval. Parmi les maisons, celles qui sont destinées au personnel des ingénieurs, comptables et employés de l’administration, ont l’apparence des vieilles demeures bourgeoises de nos petites villes. Les autres ne possèdent qu’une ou deux pièces, où les lits, occupant toute la place, servent de chaises. Ce ne sont que des couchoirs. Leurs hôtes sont accoutumés de manger dehors, même sous la pluie. Il y a d’autres habitations plus misérables, simples « ranchos » de toile. Là, pas même de lits : des sacs empilés dans un coin, et, au milieu de l’affreuse tente, un réchaud sur lequel la femme fait cuire les repas. La misère humaine, dans ce qu’elle a de plus navrant et de plus tranquillement dépourvu d’espérance, escalade les monts, s’établit dans les nuages, végète là où meurent les plantes. Dieu ne peut pas ne pas la voir. Sur le versant opposé à la ville, on distingue deux ou trois carrés verts : quelques Indiens y cultivent des pommes de terre, mais ils ne les mangent qu’après les avoir laissées geler.

Pulacayo est séparé de sa seule promenade, Huanchaca, par une montagne et une vallée. On a percé dans la montagne un tunnel d’environ une lieue, et ce travail, confié à un ingénieur français, M. Costa, lui fait très grand honneur. De petits wagons, traînés par des mules, le parcourent, en attendant que la Compagnie s’offre une locomotive électrique. On a renoncé aux machines ordinaires, dont la fumée s’engorgeait dans les chambres où travaillent les mécaniciens de la mine et qui donnent toutes sur le tunnel. Ce passage m’a toujours produit une étrange impression. On s’enveloppe de châles et de punchos, car le courant d’air y est vif, les changemens de température fréquens. Pendant les deux premiers kilomètres, des globes électriques jettent leur lumière froide et fantastique. A mesure qu’on s’y enfonce, la chaleur devient plus forte. Çà et là s’ouvrent des anfractuosités sinistres, des grottes qui descendent dans la nuit noire. Puis des bouffées de four nous montent à la figure : nous entendons un ronflement de chaudières et nous apercevons des flammes de forge, sur lesquelles se détachent des silhouettes d’hommes courbés. Puis un vacarme assourdissant : nous passons devant la caverne où fonctionnent les roues qui extraient l’eau de la mine et font mouvoir les ascenseurs. On entrevoit d’obscures galeries, au fond desquelles des fantômes humains s’agitent dans le vacillement des torches. Partout le silence, uniquement rompu par