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sibylle, dont il avait jadis pansé et guéri une blessure : « Pourquoi, lui dit-elle, restes-tu dans une mine pauvre, où l’on te tourmente ? Tu vaux mieux que ceux qui t’entourent. Suis-moi et tu seras plus riche qu’un roi Inca. » Il la suivit, et elle le conduisit sur les hauteurs vierges de Pulacayo : « Là, fit-elle, tu n’as qu’à creuser, et tu trouveras tant d’argent que tu pourras en bâtir un palais. » Puis elle lui recommanda le secret de sa démarche et s’en alla. Ramirez se mit à l’œuvre et reconnut que la sorcière ne l’avait pas trompé. Il crut sa fortune faite, mais la mort ne lui permit pas de réaliser toutes les prophéties de l’Indienne.

Sa suprême découverte devait enrichir la Bolivie, pour qui Huanchaca fut, en petit, ce que sont les salpêtrières de Tarapaca pour les Chiliens. Il s’y échafauda des fortunes colossales, et sur cette aire de condors une bande de rapacités internationales s’abattit. Voilà plus d’un demi-siècle que l’argent ruisselle de ces sommets sinon avec une égale abondance, du moins sans interruption. Quand la source tarira-t-elle ? On l’ignore. Les mineurs ne peuvent prévoir le moment où leur dynamite ne fera plus sauter rien qui vaille. La terre leur ménage autant de surprises que la mer aux matelots ; les fiions de précieux métal se jouent de leurs calculs et se perdent dans le mystère. En ce moment, douze mille âmes vivent sur l’espérance que la mine les nourrira longtemps encore.

Elles se sont logées au flanc de la montagne, et ceux qui ont visité le Mont Saint-Michel se représenteront aisément cette ville bâtie en escaliers sur la pente d’un étroit amphithéâtre de hauteurs brunes et grisâtres. En face, tout en haut, un mur blanc, surmonté d’une croix, étincelle au soleil : c’est le cimetière. Les morts planent sur les vivans ; ils reposent près du ciel. Au fond, se dresse un grand chalet avec perron, logement de l’administrateur, postes et télégraphes ; et le chemin, qui passe devant, surplombe le tunnel où l’on s’engage pour descendre dans la mine et qu’on traverse pour aller à Huanchaca. De cet endroit on domine les ateliers construits sur des remblais, les hangars où des femmes cassent et trient les minerais, la vieille cité de Pulacayo, informe entassement de chaumières, et tout le ravin, qui va s’élargissant. Quant à la ville, les maisons s’y pressent sans aucune régularité et font des cascades de toits rougeâtres, où se découpent de grands carrés noirs. Ces ouvertures tiennent lieu de cheminées, et c’est par-là que s’échappe la fumée tics cuisines primitives. La ville se compose d’un certain nombre de quartiers, qui ressemblent les uns à de petites « cités », les autres à des culs-de-sac. Les premiers soirs, j’avais toutes les peines du monde à retrouver mon chemin. Comme il pleut continuellement