Page:Revue des Deux Mondes - 1896 - tome 138.djvu/865

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

territoriales de 1815. Il avait blâmé les concessions de son beau-frère de Prusse. « Il gâte le métier », disait-il. Il affectait de parler irrévérencieusement du gouvernement pontifical : « Nous ne concevons rien, disait-il à Lamoricière, à ces fonctions temporelles remplies à Rome par des ecclésiastiques, mais peu nous importe la manière dont ces calotins s’arrangent, pourvu qu’on fasse là quelque chose qui tienne. » Et néanmoins il avait envoyé son ambassadeur à Gaëte auprès de Pie IX, rappelé celui de Turin, et laissé sans réponse les lettres par lesquelles Victor-Emmanuel lui notifiait son avènement. Après la réduction de la Sicile, il avait écrit au général Filangeri, comme s’il eût été un de ses sujets, pour le complimenter de sa conduite. Il pontifiait et régentait ; sa volonté paraissait l’oracle des princes ; l’axe du monde politique ne se trouvait plus à Paris, à Londres ou à Vienne ; il avait été transféré à Saint-Pétersbourg.

Il semblait qu’on allait assister à une troisième réaction, semblable à celles de 1819 et de 1832 ou même pire. Mais deux différences considérables distinguaient 1849 de 1819 et de 1832. En 1819 et en 1832, les idées libérales avaient sombré en même temps que les idées révolutionnaires. En 1849, les idées libérales surnagèrent au naufrage des idées révolutionnaires. L’empereur d’Autriche lui-même avait été contraint de dire dans son manifeste d’inauguration : « Reconnaissant par notre propre conviction la nécessité et le prix des institutions libres et modernes, nous nous engageons avec confiance dans le chemin par lequel nous devons être conduits à la transformation et au rajeunissement de toute la monarchie. » En Prusse et en Piémont subsistaient deux constitutions libérales, dont aucune interprétation pharisaïque ne détruirait l’efficacité. D’un bout de l’Allemagne à l’autre la perpétuité des rentes foncières, les dîmes seigneuriales, les corvées, les droits de mutation, de chasse, de justice, les derniers débris de la féodalité demeuraient abolis avec la sanction des princes. Enfin en 1819 et en 1832 personne n’avait l’autorité ni la volonté de s’opposer à Alexandre ou à Metternich. En 1849, au contraire, est entré en scène un personnage puissant et résolu, qui va braver le tsar réputé invincible, lui résister, l’abattre, relever les causes vaincues, et, assagissant la révolution de 1848, lui rendre les avantages qu’elle semblait avoir perdus à jamais.


EMILE OLLIVIER.