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Il ne retrouvait sa véritable physionomie ouverte, intelligente, à la fois douce et ferme, que pour les confidens auprès desquels il se reposait de ses ministres.

Parmi eux ne se trouvait aucun membre de sa famille. Le Président avait une affection particulière pour son cousin le prince Jérôme-Napoléon. Quelques froissemens s’étaient produits entre eux quand il l’avait revu à Londres après son évasion de Ham. On en retrouve la trace dans une lettre à Vieillard : « Ce que je reproche le plus à Napoléon (si toutefois on peut reprocher à un homme ses défauts de nature), c’est d’avoir un caractère indéchiffrable. Il est tantôt franc, loyal, ouvert, tantôt dissimulé et contraint. Tantôt son cœur semble parler gloire, souffrir, palpiter avec vous pour tout ce qu’il y a de grand et de généreux ; tantôt il n’exprime que sécheresse, rouerie et néant. Que croire ? Je crois toujours le bien tant que je n’ai pas de preuves réelles du contraire, et, tout en étant sur mes gardes, je ne comprime aucune de mes inspirations de tendresse et d’amitié. Aussi ne puis-je que vous remercier de ne pas l’abandonner[1]. »

Depuis, le prince Napoléon s’était employé avec beaucoup d’activité et d’intelligence à l’élection de son cousin. Celui-ci, à son tour, devenu Président, ne négligea pas les intérêts de sa famille. Il nomma son oncle Jérôme maréchal de France et gouverneur des Invalides, et son cousin ambassadeur en Espagne. Ce ne fut pas sans difficulté. O. Barrot, qui recevait tous les dimanches à Bougival le jeune prince, en appréciant son intelligence, sa facilité de parole, le jugeait sévèrement[2]. Néanmoins, pour l’éloigner de l’Assemblée, il consentit à sa nomination. Sur toute sa route le nouvel ambassadeur se répandit en critiques violentes contre le gouvernement et contre la personne du Président. A Bordeaux, il s’était fait ouvrir les prisons de plusieurs condamnés politiques, leur avait serré les mains, donné l’assurance d’une libération prochaine. Il annonçait l’intention de poser, aux futures élections, sa candidature dans vingt collèges électoraux, avec un programme démocratique très accusé. Ce qui équivalait à proposer au suffrage universel une véritable déchéance du Président. Celui-ci, dans une lettre publique, réprimanda ce langage et ces candidatures. « C’était à toi moins qu’à tout autre de blâmer en moi une politique modérée, toi qui désapprouvais mon manifeste, parce qu’il n’avait pas l’entière sanction des chefs du parti modéré. Or, ce manifeste, dont je ne me suis pas écarté, demeure l’expression consciencieuse de mes opinions[3]. Tu me connais

  1. Londres, 10 décembre 1846.
  2. Odilon Barrot, Mémoires, t. III, p. 398.
  3. 10 avril 1849.