déloyauté. Il était insensé d’espérer que le peuple de Paris, décimé par le choléra, indifférent à la République romaine, « éperdu d’enthousiasme pour le Président, qui visitait les hôpitaux les plus infectés, y demeurant plusieurs heures, épuisant l’argent qu’il avait apporté, en empruntant à ceux qui l’entouraient, prodigue de paroles affectueuses plus encore que d’argent[1] » ; il était insensé d’espérer qu’un tel peuple se soulèverait : ils eurent cette déraison. « Vous avez violé la Constitution, s’écria étourdiment Ledru-Rollin ; nous la défendrons par tous les moyens, même par les armes ! »
Au signal de Ledru-Rollin, le prince répondit par une proclamation, modèle du genre, dans laquelle la fermeté ne va pas au défi, ni la sécurité à l’impertinence.
« Quelques factieux osent encore lever l’étendard de la révolte contre un gouvernement légitime, puisqu’il est le produit du suffrage universel. Ils m’accusent d’avoir violé la Constitution, moi qui ai supporté depuis six mois, sans en être ému, leurs injures, leurs calomnies, leurs provocations. La majorité de l’Assemblée est le but de leurs outrages. L’accusation dont je suis l’objet n’est qu’un prétexte, et la preuve, c’est que ceux qui m’attaquent me poursuivaient déjà avec la même haine, la même injustice, alors que le peuple de Paris me nommait représentant et le peuple de la France Président de la République. Ce système d’agitation entretient dans le pays le malaise et la défiance, qui engendrent la misère ; il faut qu’il cesse. Il est temps que les bons se rassurent et que les méchans tremblent. La République n’a pas d’ennemis plus implacables que ces hommes qui, perpétuant le désordre, nous forcent de changer la France en un vaste camp, nos projets d’amélioration et de progrès en des préparatifs de lutte et de défense. Elu par la nation, la cause que je défends est la vôtre, c’est celle de vos familles comme celle de vos propriétés, celle du pauvre comme du riche, celle de la civilisation tout entière. Je ne reculerai devant rien pour la faire triompher. »
L’effet de cette proclamation fut foudroyant ; l’insurrection était vaincue avant que Changarnier, investi de nouveau du commandement de la garde nationale, eût déployé ses troupes. Les files clairsemées des insurgés furent coupées, enlevées en un instant, et on arrêta sans coup férir les représentais réunis aux Arts et Métiers qui ne réussirent pas à fuir par les fenêtres.
- ↑ Falloux, Mémoires, t. I. p. 454.