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Les étrangers sont unanimes à constater notre facilité traditionnelle à nous payer de beaux discours au lieu de faits et de raisons. Tandis que l’Italien se joue des mots, disait l’abbé Galiani, le Français en est dupe. Un psychologue allemand a dit de nous que la rhétorique, simple ornement pour l’Italien, est pour le Français un argument.

Un de nos critiques les plus acerbes fut Gioberti. Dans son livre fameux sur le Primato'' de l’Italie, il reproche aux Français légèreté, frivolité, vanité et jactance. A l’en croire, nos livres, « écrits légèrement et sans profondeur, sont toujours à la recherche de l’esprit. » On sortait alors à peine du XVIIIe siècle. Mais était-ce une raison pour oublier les Descartes, les Pascal ou les Bossuet ? « La plus grande qualité de l’homme, ajoute Gioberti, est la volonté ; or elle est faible et mobile chez le Français. » Le génie de Napoléon, « tout à fait italien », trouva dans la France l’instrument le plus docile et le plus convenable pour ses gigantesques desseins : les Français, « qui vont par sauts et par bonds, et qui sont des gens de premier mouvement », apprécient d’autant plus chez les autres « cette ténacité dont ils sont dépourvus » et qui est nécessaire pour les bien gouverner. « On sait que ce sont les caractères vifs et inertes qui sont le plus aisément dominés et asservis par les natures fortes et tenaces. » Quelques années après, ajoute Gioberti, le succès enivra Napoléon, et tandis qu’à ses débuts Bonaparte avait dirigé sa conduite « selon la méthode italienne, c’est-à-dire en joignant une grande prudence à une grande audace », plus tard, aveuglé par ses succès, il voulut gouverner avec la furia française, « par des mouvemens brusques, emportés, cassans, désordonnés » ; et il mit alors moins de mois pour perdre sa couronne qu’il n’avait mis d’années pour l’acquérir. Gioberti prétend les Français « totalement dépourvus » des deux qualités nécessaires pour « exercer la maîtrise du monde », et que, bien entendu, l’Italie possède : « la puissance créatrice jointe à la profondeur de la réflexion dans l’ordre intellectuel ; le jugement, la ténacité, la patience, la volonté, dans l’ordre de l’action. » Tandis que les Italiens sont, pour ainsi dire, « d’étoffe aristocratique », le Français est d’étoffe plébéienne, car il ressemble au peuple « par la complexion mobile et légère de son esprit, sa versatilité et son inconstance. » De même, « la vanité, fille de la légèreté, est un défaut propre aux êtres inférieurs, enfans, femmes, peuple. Les Romains ne se répandaient pas en hâbleries : ils agissaient ; tandis que les Français, les premiers menteurs du globe, étalent une ridicule forfanterie : ils appellent leurs révolutions « les révolutions du monde. » A l’amour de la patrie, Gioberti nous reproche de substituer « l’amour des antipodes » et de faire