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Les révolutionnaires romains et toscans, ayant la route libre, accomplissent le pas décisif. A Rome, après avoir prononcé en fait et en droit la déchéance du gouvernement temporel de la Papauté, ils proclamèrent la République sous le triumvirat de Saffi, Mazzini, Armellini (8 février 1849). En Toscane ils firent de même après la fuite du grand-duc à Gaëte, sous le triumvirat du Guerrazzi, Montanelli, Mazzoni. En Piémont ils redoublèrent leur pression, cette fois secondée par le ministère, sur la volonté vacillante de Charles-Albert. Le malheureux roi finit par leur obéir. Irrité des humiliations de l’armistice et de celles encore plus cruelles qui s’annonçaient, talonné par l’avènement de la République en Toscane et à Rome, acculé à l’alternative de s’avilir ou d’être dévoré par la Révolution, il résolut de tenter une dernière fois, en désespéré, la fortune des armes.

Le prince Président, instruit de son projet, s’efforça de l’en dissuader. Il lui fit officiellement déclarer par Drouyn de Lhuys « de ne pas se bercer de vaines espérances, que s’il recommençait la guerre il la ferait à ses risques et périls, que la France ne l’aiderait pas. » Il ne s’en tint pas là : il envoya auprès de lui le général Pelet et le diplomate Mercier, afin de lui démontrer que, seul, le Piémont n’était pas en état d’affronter l’Autriche victorieuse[1]. Les historiens décidés à traiter le prince en halluciné toujours prêt à dérailler dans une folie n’en ont pas moins soutenu que Charles-Albert avait été surexcité par les continuelles provocations de l’Elysée.

Charles-Albert ne tint compte d’aucun avertissement. Le 14 mars, Rattazzi, ministre de l’Intérieur, se présente à la tribune, pâle et ému et dit : « Le jour de la revanche est enfin arrivé. (Applaudissemens prolongés.)… Le roi est parti cette nuit pour Alexandrie, son quartier général. » (Applaudissemens et cris de : « Vive Charles-Albert ! »)

Puis, sans se souvenir de l’opposition déchaînée qu’il avait faite lui-même quelques mois auparavant à un projet de sûreté publique très modéré de Pinelli, il demande et obtient la suspension, pendant toute la durée de la guerre, de la liberté de la parole, du droit d’association, de la liberté personnelle, du droit à l’hospitalité. Le ministère aurait voulu confier l’armée piémontaise à un général français, Bedeau ou Lamoricière. Ni l’un ni l’autre ne consentit à compromettre son nom dans une aventure sans espoir. On eut recours à l’instrument nécessaire alors de toute révolution, le Polonais. On en choisit un qui s’appelait Chrzanowski. Les soldats piémontais ne parvinrent jamais à prononcer ce nom.

  1. N. Bianchi, Diplomazia europea in Italia, t. V, p. 382 ; t. VI. p. 127.