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Arese fut chargé de soumettre ce projet au Président de la République qui l’accepta et, malgré la vive opposition de Falloux, en fit recommander l’adoption à Florence et à Gaëte, par le ministre des Affaires étrangères, Drouyn de Lhuys, et par son ambassadeur d’Harcourt. Il demanda seulement que Naples s’unît à Turin afin d’écarter les suspicions inspirées par l’ambition piémontaise. L’intervention des deux États purement italiens, très rapide et très efficace, ménagerait les susceptibilités nationales et conjurerait bien des résistances. Prévoyant l’avenir, il priait le Saint-Siège de ne pas perdre de vue qu’exclure la Sardaigne de toute participation, ce serait lui faire une injure, ce serait la rejeter en quelque sorte dans les rangs ennemis, et qu’il n’est pas indifférent, quand il s’agit de l’Italie, de l’avoir pour ou contre soi.

Cette proposition de Louis-Napoléon et de Gioberti, conforme à une suggestion antérieure de Casimir-Périer, eût assuré définitivement la sécurité pontificale. A cet égard on ne cessait d’osciller entre les impossibilités. Sans la possession paisible de Rome, la Papauté n’est pas indépendante. Or, en l’état des esprits en Italie, à cette époque, la Papauté n’était assurée de la possession paisible de Rome qu’à l’aide d’un secours extérieur. N’était-il pas naturel que ce secours extérieur fût italien, plutôt que français ou autrichien ?

L’Angleterre approuva. En dehors d’elle, l’opposition fut à peu près unanime. L’Autriche jeta feu et flamme, déclarant qu’au premier pas du Piémont en dehors de son territoire, les troupes autrichiennes iraient en avant. Le cardinal Antonelli dit que le Piémont était au ban du Sacerdoce et de l’Empire. Le Pape, dans un Consistoire (7 février) exclut le Piémont du nombre des puissances catholiques auxquelles il demandait secours, outrage qui fut amer au cœur religieux de Charles-Albert. Naples refusa comme Rome. Le grand-duc de Toscane, qui avait d’abord adhéré, revint sur son consentement, aussitôt qu’il se fut rendu à Gaète. La bande démocratique et cosmopolite se sentant menacée écuma de colère. Ledru-Rollin s’écria : « C’est une intervention détournée et jésuitique de nature à déshonorer le gouvernement français. » Les révolutionnaires italiens remplirent les rues de Turin de leurs clameurs. Un des collègues mêmes de Gioberti, Rattazzi, le dénonça à la tribune ; Charles-Albert, charmé d’être débarrassé de cet abbé qui voulait jouer au Richelieu, l’abandonna ; et le magniloquent, qui s’était élevé au bruit des bravos, s’écroula au grincement des sifflets. Tant qu’il n’avait pas eu le sens commun on l’avait exalté ; on le conspua dès qu’il fut devenu sensé et prévoyant (20 février 1849).