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III

L’espérance générale était que les élections de la législative (13 mai 1849) allaient détendre la situation. Elles l’aggravèrent.

Les républicains modérés furent anéantis ; ils purent à peine faire passer 70 de leurs candidats ; Lamartine ne fut réélu nulle part. Au contraire les radicaux arrivaient au nombre de 180 ; les conservateurs obtenaient une majorité de 500 voix. Dans cette formidable majorité, les bonapartistes n’étaient qu’une mince poignée, le gros bataillon se composait de légitimistes et d’orléanistes. Le personnel bonapartiste manquait ; et la compétition ne s’était produite qu’entre des républicains plus ou moins rouges et des monarchistes plus ou moins blancs. Le paysan avait préféré les monarchistes mais il ne les avait pas nommés comme tels, car presque aucun d’eux, dans ses professions de foi ou ses discours électoraux, ne s’était réclamé du roi blanc ou du roi tricolore. Ils n’avaient parlé que de l’ordre social à préserver, et « ils avaient tous recherché et affiché la qualité de partisans du Président[1]. » C’est ce qui avait déterminé leur succès. Ils avaient été élus pour ce qu’ils paraissaient, non pour ce qu’ils étaient. Eux, néanmoins, arrivaient résolus à agir selon ce qu’ils étaient, non comme ils s’étaient montrés. Le suffrage universel avait cru confirmer son vote du 10 décembre, en réalité il l’avait annulé. Il avait voulu délivrer son élu, il l’avait entravé plus qu’auparavant. Il était convaincu de lui avoir envoyé des amis, résolus à l’affermir et à le défendre ; les nouveaux députés allaient travailler à se débarrasser de lui.

Telle est l’équivoque qui, désormais, va peser sur les choses et sur les hommes, se grossir chaque jour, paralyser les efforts désintéressés, aggraver le péril social, et nous acheminer vers un cataclysme.

En attendant que ces brumes du présent s’éclaircissent d’une manière quelconque, il fallait vivre. Mais comment ? Le président, sauf un groupe très restreint, avait contre lui toute la nouvelle Assemblée. Dans quelque fraction qu’il choisît son ministère, il se livrait à des ennemis. La majorité elle-même, compacte contre les radicaux et les Elyséens, se divisait : les uns légitimistes, les autres fusionnistes ou orléanistes. L’état moral des députés ne les disposait pas à une conciliation. « Les conservateurs, qui s’étaient attendus, non-seulement à vaincre, mais à

  1. Montalembert, discours du 10 février 1851.