d’autant plus disposé à recevoir celles qu’on lui soufflerait. L’ayant éprouvé incapable d’amitié comme de haine, il ne craignait pas qu’il s’attachât au prince auquel il le donnerait. « Dans un cœur comme le sien, semblable à un vase qui fuit, rien ne reste[1]. » Il employa donc tout son art d’insinuation et de flatterie à le convaincre qu’il était l’homme nécessaire ; Barrot le crut, et se décida à prendre la présidence du conseil avec le ministère de la Justice (20 décembre). A l’Intérieur il mit Léon de Malleville, homme d’esprit, un des lieutenans les plus dévoués de Thiers ; aux Affaires étrangères, Drouyn de Lhuys, président du comité diplomatique, sur la proposition duquel avait été récemment promulguée la politique des nationalités ; à la Guerre, le général Hulhière, militaire correct et effacé ; à la Marine le doux et inoffensif de Tracy ; aux Finances, Passy, instruit, expérimenté, d’une honnêteté et d’un courage à toute épreuve, aussi incapable de plier que de trahir, mais trop ami des paroles inutiles ou paradoxales, contrariant, dénigrant[2] ; à l’Agriculture Bixio, vaillant, loyal, éclairé ; aux Travaux publics, Léon Faucher, maladroit, cassant, aussi sot que s’il n’eût pas eu beaucoup d’intelligence et d’instruction, un de ces honnêtes gens qui rendraient l’honnêteté odieuse ; à l’Instruction publique et aux Cultes, Falloux. Avec Odilon Barrot, c’était le personnage le plus important de la combinaison.
Falloux, Fallax, a-t-on dit. Jules Favre l’estimait plus félin que lui-même. Pensant le flatter, il lui glissa dans l’oreille cet étrange compliment : « On dit que je suis le plus perfide de l’Assemblée, mais à vous le pompon[3] . » Tocqueville paraît de l’avis de Jules Favre : « La nature l’avait fait léger et étourdi avant que l’éducation et l’habitude l’eussent rendu calculé jusqu’à la duplicité ; il mêlait dans sa propre croyance le vrai et le faux avant de servir ce mélange à l’esprit des autres ; il se donnait ainsi les avantages de la sincérité dans le mensonge »[4]. Ces jugemens sont excessifs. Falloux est un des politiques qui par certains côtés m’ont donné l’idée la moins imparfaite de l’homme d’État. Il réunissait, à un degré que je n’ai trouvé égal qu’en Napoléon III et en Morny, la souplesse et l’obstination, l’aménité des formes et la fermeté des desseins, l’ardeur sous le calme apparent et dans la poursuite d’un but invariable, l’imperturbabilité à braver les déboires, à supporter les ajournemens de la Providence ou des hommes, la flexibilité à varier les moyens suivant les circonstances et les oppositions. Seulement il était incapable de cette