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sulfureuses, répétée jusqu’à douze fois, tient lieu de teinture aux soies à employer blanches ; elle leur donne le ton et la transparence de la nacre. Souvent aussi, pour colorer les filés en blanc, on les plonge directement dans un bain de bleu et de rouge, dont l’association engendre du violet. Celui-ci, luttant avec le jaune naturel de la soie, l’amène doucement à la blancheur requise.

Une heure ou une heure et demie est en effet nécessaire pour fixer la matière colorante, pour en imprégner également chacun de ces fils que l’on promène par poignées, dans des cuvettes oblongues, d’une façon assez primitive. De temps à autre l’ouvrier cesse de remuer ses bâtonnets et « donne un coup de cheville », c’est-à-dire qu’il retire une échevette et la sèche, en la tordant avec force, pour s’assurer de la nuance et voir s’il est bien « dans l’esprit de l’échantillon. » A la fin de l’opération la soie est lavée, avivée dans une eau acide, qui rend indissoluble l’union du fil et du colorant, de cette bave de chenille et de cette huile de charbon, puisque toutes nos couleurs sont maintenant extraites de la houille.

Le reproche, fait de nos jours aux étoffes de n’être pas « bon teint », ne date pas d’hier. Je remarque dans des édits royaux vieux de deux siècles et demi — ils remontent à Louis XIII — des doléances très amères sur les couleurs dégénérées des teinturiers, que le gouvernement d’alors accusait de gâter les textiles par leurs « mauvaises drogues ». Pour mettre fin à ce dévergondage l’État donnait la liste des « bonnes et loyales teintures » et des « fausses et défendues ». Parmi les premières, le pastel était une des plus recommandées ; l’indigo au contraire était honni, proscrit et, comme les prohibitions légales ne suffisaient pas, semble-t-il, à arrêter l’essor de cet « anil » ou « bois d’Inde », des pénalités draconiennes furent organisées contre les introducteurs ou « receleurs ». N’empêche que l’indigo détrôna cet antique pastel dont la France avait longtemps pourvu l’Europe, dont le trafic était un des plus notables du Midi, — un marchand de pastel avait, sur la demande de Charles-Quint, cautionné la rançon de François Ier, — et à qui l’on réservait toujours, en temps de guerre, un traitement de faveur. Une lutte semblable, poursuivie plus tard entre la garance et la cochenille, se termina à l’avantage de cette dernière.

Sous Napoléon Ier, grâce au blocus continental, pastel et garance revirent quelques beaux jours ; puis disparurent à nouveau ainsi que l’indigo et la cochenille leurs vainqueurs, ainsi que les extraits de bois, de lichens et l’ensemble des colorans végétaux, devant l’arc-en-ciel que les chimistes tiraient à vil prix du charbon.