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provenant de sujets agiles, vigoureux, montés avec prestesse à la bruyère et dont l’estomac, soumis à une analyse microscopique, avait été reconnu dénué de germes malsains. Cette méthode, appliquée d’abord aux papillons des deux sexes, puis aux femelles seulement, — il fut constaté que les mâles, dans l’acte de la génération, ne pouvaient transmettre le microbe, — a donné des résultats surprenans. Nos départemens du Midi, loin de demeurer tributaires de l’étranger pour leurs magnaneries, approvisionnèrent un moment toute l’Europe ; le Japon même achète de ces graines françaises, dont la production a plus que doublé depuis dix ans.

C’est que la semence sélectionnée est beaucoup plus profitable que l’ancienne. Une once d’œufs, qui fournissait autrefois 18 kilos de cocons, en donne aujourd’hui 44, et le rendement s’est élevé, dans l’Aude, jusqu’à 62 kilogrammes. Pour faire tisser ces 44 kilos de cocons, par les 39 000 vers que représentent 2a grammes de semence, il a fallu les soins minutieux de l’éducateur et une nourriture assez abondante : près de 700 kilos de feuilles de mûrier ont été absorbés par ces chenilles pendant les 35 jours qui séparent le moment de leur éclosion de celui où elles se décident à travailler. Dans les six premiers jours elles occupent un mètre carré de surface et mangent 3 kilos de feuillage ; dans les neuf derniers elles en mangent 550 kilos et couvrent une superficie de 60 mètres carrés.

Bien que l’insecte passe pour difficile et même exclusif, en fait d’alimens, il s’accommode à peu près de toutes sortes de verdures — on en a élevé avec la dépouille du tilleul ou du bouleau, du lilas ou du cerisier ; on a réussi même avec des pampres de salsifis. — Seulement il ne veut pas que l’on change son ordinaire ; le mûrier même fût-il substitué au salsifis, pendant l’engraissement, le ver, plutôt que d’y toucher, se laisserait mourir de faim. Si l’on persiste jusqu’ici à servir à ces chenilles des feuilles de mûrier plutôt que d’autres arbres, c’est que la soie obtenue avec les premières est de qualité très supérieure. Aussi ce feuillage précieux se vend-il cher : jusqu’à 20 francs le quintal en certaines années. Les 130 francs que le sériciculteur doit débourser de ce chef, ajoutés aux 7 francs que lui coûte l’once de graines, absorbent en ce cas la plus grande partie des 160 francs, que peuvent atteindre, en moyenne, les 44 kilos de cocons récoltés.

Avec le « tirage » de la soie, vient la besogne manufacturière, Le fil, commencé par l’insecte, doit être achevé par l’homme. Partout, sauf en Chine, où une superstition singulière veut qu’ils soient filés à l’état vivant, les cocons, aussitôt détachés de la