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Croix-Rousse, la pyramide religieuse et la ruche industrielle, la montagne qui prie et la montagne qui peine, placées toutes deux front contre front dans les reliefs du paysage. Les indigènes, avec leur activité contemplative, race du nord égarée dans le sud, ont doucement capté cette industrie méridionale, et l’ont marquée peu à peu si fortement de leur empreinte, que nul de leurs rivaux dans le monde n’a su depuis trois siècles leur enlever le premier rang.

Au temps où tout nous venait d’Italie, l’esprit, les bijoux, les opéras, les beaux tableaux et les belles filles, au temps où Polichinelle même passait les monts, Lyon, qui donnait le jour au camarade français Guignol, maître railleur plus profond que l’autre, était, en fait d’industrie, moins original. Il copiait. Encore l’accusait-on, comme il vient d’être dit, de copier mal. Mais, quoique ses 300 « veloutiers » ou « taffetatiers » de 1575 se bornassent à reproduire servilement les étoffes italiennes, — damas de Lucques, gros de Naples, taffetas de Florence ou velours de Gênes, — si l’on compare, des dernières années du XVe siècle aux premières du XVIIe, les quantités de ces tissus coûteux importés du dehors, il est évident que leur part dans la consommation nationale a décru d’une date à l’autre. La grande « vuidange d’or et d’argent » que ce goût dispendieux, dont Louis XI se chagrinait si fort, occasionnait à ses sujets, avait seulement doublé jusqu’à Henri IV, — de 18 à 36 millions de notre monnaie, — tandis que l’usage de la soie, répandu dans toute une classe nouvelle, avait grandi bien davantage.

Le goût français s’était formé ; la cour fastueuse des Valois, passionnée pour tout ce qui raffinait l’existence, pour toutes les manifestations de la beauté, ne fut pas étrangère à ce mouvement. La séduisante Marguerite de France, sa belle-sœur Catherine de Médicis, « qui s’habillait superbement, au dire de Brantôme, et avait toujours quelque nouvelle et gentille invention », peuvent compter parmi les initiatrices de l’élégance parisienne. Sous ces influences l’art du tissage grandissait lentement chez nous, et contractait avec l’industrie cette alliance étroite qui devait être proclamée beaucoup plus tard. La technique de l’étoffe, ces innombrables combinaisons des fils que l’on nomme l’ « armure », l’ornementation et les effets optiques du coloris, la hauteur du style, c’est par-là que Lyon a conquis au XVIIe siècle sa souveraineté soyeuse.

Un élève de Lebrun, le peintre Jean Revel, après avoir découvert avec les « points rentrés » des transitions de nuances et des gradations inconnues avant lui, transporte sur les tissus des