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« Ouvriers » et « artisans » ont ici le sens d’ « industriels » et de « manufacturiers », dont ils étaient maintes fois l’équivalent au XVIIe siècle. Ce sont leurs femmes, les « artisanes », que le Parisien Bouchard, dans son voyage de 1630 à Lyon, nous montre « habillées de soie de diverses couleurs ; et, pour ce, s’appellent toutes mademoiselle ; car, passé Loire, on ne voit plus de bourgeoises. » Bourgeoises elles étaient pourtant, dans le langage actuel, et des plus huppées, les épouses de ces marchands qui dirigeaient sous Louis XIII la fabrication lyonnaise, « sans être assis sur le métier ni mener la navette. » De grands progrès avaient été réalisés depuis la Renaissance. La sériciculture était fondée. Acclimatés vers 1500 en Provence et Comtat-Venaissin, les mûriers s’étaient répandus peu à peu, et lorsque Sully plantait aux Tuileries ceux dont l’histoire a gardé souvenir, les municipalités de Languedoc en garnissaient depuis longtemps les allées de leurs promenades.

Bien que les « baux à lever soie » et l’élève du ver se fussent multipliés parallèlement, les besoins de la France continuaient à dépasser sa production, soit en filés, soit en étoiles. A ceux qui le déploraient, sous Richelieu, et qui demandaient à l’Etat d’entraver ces arrivages par clos droits prohibitifs, les « marchands-merciers » de Paris, principaux importateurs, ripostaient : « Il faut considérer la Providence de Dieu qui veut que tout le monde vive et que nous ne nous pussions passer les uns des autres. » Ces commerçans alléguaient que nous n’étions pas capables de rivaliser avec les Italiens, qu’une expérience venait d’être tentée par le feu roi, « qui avait fait venir les ouvriers d’Italie en France, où nous n’avions pu obtenir d’eux rien d’égal à ce qu’ils faisaient dans leur pays. » Les efforts de nos compatriotes donnaient toutefois à ce découragement un sérieux démenti. Dans le centre, Tours, dont les compagnons travaillaient à cette époque nombreux et habiles, vendait aux Espagnols — ces rois de la mode sous Olivarès — les pannes magnifiques où les hidalgos de marque taillaient leurs manteaux. Au sud-est, les territoires baignés par le Rhône et conglomérés un moment, par les bizarreries féodales, en une nation factice : le royaume d’Arles, se constituaient en un « royaume de la soie », avec Lyon pour capitale. Création artificielle aussi, née du génie des habitans.

Assise à la porte du Midi, bien qu’enveloppée pendant une partie de l’année de brouillards légendaires, resserrée en une étroite presqu’île, où la Saône fainéante se traîne mollement vers le Rhône, fleuve de vertige et de désordre, la cité lyonnaise apparaît comme un nid de contrastes, entre Fourvières et la