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Ces milliards de mètres de fils soyeux demeuraient naguère en leur lieu d’origine ; aujourd’hui encore ils ne voyagent pas tous. L’Extrême-Orient, — Chine, Japon, Indo-Chine ou Indes anglaises, — l’Asie centrale ou la Turquie, conservent pour leur usage la majeure partie de leur récolte. L’Europe, au contraire, et l’Amérique consomment beaucoup plus qu’elles ne produisent.

La France en particulier, dont on a vu le chiffre modeste dans la création des filés, importe près de 12 millions de kilogrammes, la moitié environ de ce que le commerce déplace chaque année dans le monde. A la vérité elle ne les emploie pas tous. A côté de l’industrie de la soie, qui transforme le fil en tissu, fonctionne sur notre territoire un trafic très vaste, qui alimente les fabriques de Suisse, d’Allemagne, de Russie ou d’Amérique. Lyon en est le siège. Non que l’existence de ce marché international soit le résultat forcé du voisinage des grandes manufactures lyonnaises. L’institution en est relativement récente ; il y a trente ans à peine, la presque totalité des soies asiatiques expédiées en Europe était débarquée à Londres ; elle vient maintenant de Yokohama, de Canton ou de Shangaï à Lyon.

L’ « Union des marchands de soie » comprend en cette ville 08 sociétaires, en majorité Français, mélangés d’Italiens, d’Espagnols et d’Orientaux, par les mains de qui passent annuellement ces milliers de balles de « grèges », fils qui viennent d’être tirés du cocon, provenant des contrées les plus diverses. Les chefs des puissantes maisons qui ont à notre profit dépossédé l’Angleterre de ce négoce exotique, n’ont pas seulement à se défendre contre leurs rivaux de Milan et de Zurich, favorisés par le percement du Saint-Gothard, par la création de la malle allemande entre Gênes et l’Orient, et convoitant à leur tour l’héritage de Lyon ; ils ont à lutter contre les risques inhérens à une marchandise qui subit à la fois l’influence de la mode et celle de la récolte annuelle. Risques énormes, si l’on songe au prix élevé et aux fluctuations des cours.

Aussi faut-il voir comme on surveille cette soie dans les deux hémisphères ; comme les intéressés la suivent jour par jour dans son laborieux processus, depuis l’instant où la graine de vers est recueillie, jusqu’au moment où les filés nouveaux vont accroître les anciens stocks, les « existences » de l’an passé. C’est là un de ces objets d’intérêt universel, comme le sucre ou le blé, le pétrole, le coton, et tant d’autres, pour lesquels nos contemporains ont organisé un système d’investigation permanente que le négoce de jadis n’aurait pu réaliser. A côté des télégrammes qui édifient chacun sur le mouvement quotidien des