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tauroboles si fréquens sur les sarcophages romains, et les couronnes de lauriers qui ornent ici les fronts de plusieurs figures ne laissent pas de doute que l’artiste a eu positivement devant les yeux quelque modèle de l’antiquité. — Le dernier panneau fait également l’effet d’un véritable relief, et d’un relief bachique : il a tout l’aspect d’une de ces scènes du genre comme les anciens aimaient tant à en reproduire avec quelque aventure de leur Silène ; mais que la pensée de l’Ivresse de Noé est au fond douloureuse et navrante ! C’est la pensée qui a déjà marqué d’un accent tellement aigu l’histoire d’Adam : la pensée de l’humaine fragilité et de l’incurable misère de notre espèce… Le symbolisme intrépide du moyen âge a toujours prêté un sens typologique à l’action impie de Cham en la comparant au Couronnement d’épines : le Noé dénudé et raillé par son fils passait pour la préfiguration du Christ dépouillé et outragé par le peuple juif[1]. Est-ce en vue de ce symbolisme que Michel-Ange a donné comme conclusion au récit grandiose de nos origines un Ecce homo aussi humiliant pour notre orgueil ?…


Les magnifiques trilogies de la Création, du Paradis et du Déluge résument en quelque sorte les Époques de la Nature, l’âge préhistorique de l’humanité avant l’élection du peuple d’Israël et la proclamation de la Loi. Quatre scènes bibliques, aux quatre angles du plafond, se rapportent à ce peuple élu et témoignent de la protection divine qui lui a été accordée dans des occurrences diverses : ce sont les scènes du Serpent d’airain, de la Défaite de Goliath, de la Mort d’Holopherne et du Châtiment d’Aman. Le triomphe du jeune David et l’acte vengeur de Judith étaient devenus, dans la seconde moitié du XVe siècle, des sujets favoris pour nombre d’artistes florentins, — pour Donatello, Verrocchio, Botticelli et pour Buonarroti lui-même : — c’étaient des sujets patriotiques et républicains par excellence ; la veuve

  1. Le livre classique, sous ce rapport, le Speculum humanx salvationis (du XIVe siècle) dit (cap. XXXVII et XXXVIII) :
    Isti etiam Judæi Christum subsanando deriserunt,
    Olym per Cham filium Noe figurati fuerunt.
    Dans la Biblia pauperum (Heineken, II, 124), on voit l’Ivresse de Noé, à côté du Couronnement d’épines, avec la légende :
    Nuda verenda videt
    Patris dum Cham malaie ridet.
    Pro nobis triste
    Probrum, pateris pie Christe.