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et que, laissé enfin libre de suivre ses propres inspirations, il soit remonté du coup à la Genèse et au Liber generationis ![1]… Il imagina de peindre au plafond une histoire de la Création, et de placer sur les pentes à l’entour les Prophètes et les ancêtres du Christ : cosmogonie et théogonie grandioses ; prolégomènes magnifiques aux vies de Moïse et de Jésus du cycle d’au-dessous ; interprétation aussi toute nouvelle de la Bible, du livre des Juifs, dont elle révélait pour la première fois, on peut le dire, les sombres horizons et les sublimes terreurs.

Pour les prédécesseurs de Michel-Ange, en effet, l’Ancien Testament avait été surtout un charmant recueil de contes merveilleux, un vrai novellino, dont les récits toujours si variés, souvent si naïfs et parfois si profanes, les reposaient agréablement de la grande épopée évangélique aux scènes émouvantes et lugubres. Suivez ces récits tels que les déroulent tout au long, du Ve jusqu’au XVe siècle, les mosaïques de Santa Maria Maggiore, de Monreale, de l’atrio de San Marco, et plus tard les fresques de Cimabue à l’église supérieure d’Assise, de Paolo Uccello au chiostro verde de Florence, de Pietro di Puccio et de Benozzo Gozzoli au Campo santo de Pise : ce ne sont pour la plus grande part que des tableaux de genre, des peintures de la vie intime, une histoire familière et anecdotique des patriarches et des héros de la Judée. Les épisodes les plus hasardés, les moins édifians du canon juif sont reproduits posément, ingénument par ces artistes du moyen âge qui ne veulent rien perdre d’un texte aussi intéressant et tiennent à l’illustrer chapitre par chapitre et verset par verset. Ils le font avec abondance, avec faconde, bien souvent même avec une verve et une invention remarquables, et arrivent ainsi inconsciemment à laïciser de plus en plus les saintes Écritures des Hébreux : on ne devinerait guère un élève de Fra Angelico dans le peintre enjoué de la Vergognosa, des Vendanges de Noé, des Noces de Jacob, etc., au cimetière des Pisans. L’immortel élève de Perugino viendra (vers 1519) résumer en cette direction, comme en tant d’autres, le travail des anciens maîtres, l’effort des siècles passés, et lui donner l’expression harmonieuse et suprême. Une série d’idylles ravissantes tirées de

  1. Liber generationis Jesu Christi filii David, filii Abraham. Abraham genuit Isaac. Isaac autem genuit Jacob, etc., etc. (Evang. secundum S. Matthæum, I, 1, seq.)