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chercher son modèle dans le sermon sur la Montagne ; elle le cherchait plutôt dans les imprécations des Lévites sur la colline d’Hébal. « L’histoire de l’Ancien Testament nous démontre la nécessité d’un châtiment prochain, » déclara Savonarole dans son sermon sur Habacuc.

Dans cet Ancien Testament, fra Girolamo a trouvé toute sa rhétorique ; il y a trouvé également toute sa politique. Pour lui, l’idéal du gouvernement c’était la Judée du temps de Samuel, la Judée avant toute institution monarchique. « Le peuple d’Israël se gouvernait alors comme fait aujourd’hui le peuple de Florence : il n’avait ni roi ni prince temporel. Dieu leur envoyait un prophète, qu’ils appelaient juge, et qui n’avait aucune autorité, aucun pouvoir sur le peuple, ni pour tuer, ni pour prononcer sur quoi que ce fût. Mais ils lui demandaient conseil, et le juge, après s’être mis en prières, répondait ce que Dieu lui inspirait. Obéissaient-ils à la voix de Dieu, ils prospéraient ; sinon, ils couraient de grands dangers… Ton gouvernement, ô Florence, est donc semblable à celui du juge des Israélites… » (Sermon du dernier jour de l’Avent 1494.)

Ç’a été la grande originalité, la grande fatalité aussi du prieur de Saint-Marc, d’avoir voulu ainsi continuer les juges et les voyans du peuple de Dieu. Il a écrit un traité spécial (De veritate prophetica) pour démontrer que Dieu peut encore, comme au temps de la Judée, envoyer des prophètes sur la terre, et que lui, Savonarole, est lui-même un de ces élus. Il en appelait constamment à ses prédictions qui se seraient toujours vérifiées, et il établissait des rapports mystérieux et parfois bien spécieux entre la marche des événemens et celle de ses homélies. « Une chose, — dit-il ingénument dans son Compendium revelationis, — une chose entre autres frappe d’admiration les hommes les plus distingués par leur esprit, et leur savoir. Depuis l’année 1491 jusqu’en 1494, j’avais prêché tous les avens et tous les carêmes sur le sujet de la Genèse, reprenant toujours mon texte, en commençant une station au point où je l’avais laissé en finissant la précédente : je ne pus cependant jamais atteindre le chapitre du Déluge avant que les tribulations fussent venues… » À la venue des tribulations, — c’est-à-dire à l’annonce de la descente de Charles VIII en Italie, — il aborda enfin (carême 1494) ce chapitre du Déluge dans une série de sermons dont treize sont parvenus jusqu’à nous. Il entendait construire un refuge pour ceux qui méritaient d’être sauvés, une Arche de Noé, une arche de vertus chrétiennes. Il ajoutait chaque jour « une nouvelle planche, » une nouvelle vertu à sa construction mystique qui fut prête le premier jour des Pâques. « Que chacun