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d’or de l’antiquité, qu’il faut semer de la main et non du sac :

Χειρὶ μὴ θυλάϰῳ σπείρειν


Ainsi mis brusquement (et au sortir de la Segnatura encore ! ) en présence de cette peinture de Buonarroti, les visiteurs de la chapelle vaticane au mois d’août 1511 eussent certes été bien excusables de se buter, de se raidir, de crier anathème… Ils ne crièrent qu’au miracle, et Raphaël ne fut pas le dernier à lui rendre ses dévotions ! Il déclarait remercier Dieu d’être venu au monde au temps d’un Michel-Ange, et il se mit aussitôt à marcher sur ses traces dans la seconde de ses Stances… C’est qu’il y avait dans cette œuvre immortelle une puissance, une fascination tout à fait irrésistible. C’est que chacun sentait instinctivement qu’il était puéril de prétendre aborder avec un compas l’incommensurable et demander ses causes finales à l’Infini. C’est que du haut de cette voûte, comme d’un autre buisson ardent, l’Esprit — le génie créateur — faisait entendre sa voix de tonnerre, la voix du mont Horeb : Sum qui sum !…

D’aucuns aussi ont cru y entendre une voix d’outre-tombe, la voix de Savonarole[1] ; — et ils ne se sont guère trompés.


Lorsqu’on parcourt les divers et si informes recueils des sermons de Savonarole, on est bien surpris de voir la place considérable que l’Ancien Testament a tenue dans l’éloquence sacrée du célèbre dominicain. Deux ou trois morceaux seulement portent des inscriptions rappelant l’Evangile ; pour le reste des sermons, texte et titre sont toujours empruntés au livre des Juifs : il y a toute une série de prédications sur la Genèse ; une autre sur l’Arche de Noé ; une autre encore sur les Prophètes, depuis Isaïe, Jérémie et Ézéchiel, jusqu’à Zacharie et Jonas. Aucun orateur chrétien du moyen âge, aucun mystique des siècles précédens, n’a été à ce point pénétré, dominé et égaré par l’inspiration hébraïque ; dans les actes et les paroles du grand saint d’Assise il n’y a pas même la plus légère trace d’une inspiration semblable… Aussi bien fra Girolamo se disait-il l’envoyé d’un Dieu que ne connut point le doux Bernardone : un Dieu courroucé et terrible, qui déjà a étendu sur le monde son glaive vengeur, — gladius Domini super terram cito et velociter[2]. Une telle éloquence ne devait pas

  1. Savonarole, al quale egli (Michel Angelo) ha sempre avuta grande affezione, restandogli ancor nella mente la memoria della sua viva voce. Condivi, ch. LV.
  2. Sentence souvent répétée par Savonarole. Dans son Compendium revelationis, il dit à ce sujet : « Ces paroles ne sont pas tirées des saintes écritures, comme on le croyait, mais elles sont nouvellement venues du ciel… »