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A l’Opéra-Comique au contraire rien ne se dissout ni ne s’évapore, tout se place et s’encadre, les plans et les valeurs se rétablissent. Si pendant le bal on ne distingue pas très bien encore ce que jouent les trois orchestres, au moins s’aperçoit-on qu’ils sont trois à jouer. En somme plus de relief qu’à l’Opéra, plus de mouvement et de vie, avec une exécution instrumentale supérieure. Et puis le clavecin rétabli n’a pas déplu. Sans rompre l’unité symphonique, il y introduit une distinction qui n’a rien que de logique, entre ce que le Président de Brosses appelait « les endroits forts », et les autres. Ainsi les deux modes d’accompagnement servent en quelque sorte à distribuer dans le tableau les lumières et les ombres.

Quelques bonnes notes encore à M. Carvalho. Il fait chanter en septuor, — tel que l’a voulu Mozart, — l’admirable finale qu’on a coutume de fortifier soi-disant par l’adjonction des chœurs. Or, — voyez que Mozart sans doute avait ses raisons, — du septuor de l’Opéra-Comique et du tutti de l’Opéra, c’est le septuor qui paraît, et de beaucoup, le plus sonore et le plus puissant.

Enfin le Don Juan de l’Opéra-Comique, comme celui de Mozart toujours, est un Don Juan sans ballet. On l’a débarrassé de ce postiche, de cette bosse qui, pour être aussi brillante que celle des polichinelles que le ballet met en branle, n’en demeure pas moins une bosse, c’est-à-dire une disparate et une difformité. Il a tous les défauts, ce ballet, et toutes les impertinences. Il désorganise et déséquilibre le finale ; il en dénature les proportions et le caractère. C’est pour assortir ici la musique à la danse, pour tout grossir et tout entier, que l’Opéra fait du fameux Viva la libertà ! cette simple formule de courtoisie hospitalière, un formidable appel à la liberté, quelque chose comme le serment du Rutli ou la Bénédiction des poignards[1]. Que de bruit, disait l’autre, pour une omelette au lard ! Et ma foi pourquoi ne le dirait-on pas ici, puisque aussi bien il ne s’agit de guère plus, d’un simple goûter sur l’herbe offert par un gentilhomme à une noce de paysans.

De l’exécution générale des deux Don Juan faut-il passer à l’interprétation individuelle ? Belle occasion de parallèles, d’oppositions et de symétrie. Nous dirons donc, — à la manière classique, — que des deux filles des deux Commandeurs, l’une a plus de voix et de très louables intentions ; l’autre, plus d’allure et de race. Celle-ci malheureusement, pour grande artiste qu’elle soit, — gageons qu’à ces mois toutes les deux croiront se reconnaître, — celle-ci donc, habituellement plus déesse que femme, a paru manquer de passion et d’humanité, comme si la nature de son talent, de toute sa personne même, l’élevait au-dessus des assassinats, viols et autres menus incidens de

  1. M. Possart, op. cit.