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il déplaça, remplaça, corrigea. Pour ajouter à Mozart, il emprunta souvent à Mozart ; il lui prêta quelquefois aussi. L’autre soir à l’Opéra (c’était la seconde représentation), Dona Anna, fatiguée sans doute, ne chanta pas son dernier air. Elle se contenta de quelques phrases de récitatif et d’une filiale et douloureuse révérence au portrait voilé de crêpe de son père. Tandis qu’elle s’inclinait, l’orchestre, à ma grande surprise, rappela discrètement le motif de la mort du Commandeur. Et m’étant informé, j’appris que cette variante était un hommage exclusivement personnel rendu par Castil-Blaze à la mémoire de l’illustre défunt.

A cela près, et quelques bagatelles encore, il ne faut pas trop se plaindre. Don Juan en somme est aujourd’hui moins défiguré qu’autrefois, et son récent et triple succès permet de croire qu’il est mieux compris et plus aimé.

Je n’étais pas à Munich, et de ces représentations « de style » je ne sais que ce qu’en a rapporté l’organisateur lui-même, M. Possart, surintendant du Théâtre-Royal. Mais cela seul est déjà fort intéressant[1]. Dans une salle exquise et contemporaine du chef-d’œuvre, celle où Mozart, un soir, dirigea son Idoménée, M. Possart parait avoir réalisé la plus exacte restitution littéraire, musicale et scénique du Don Juan original. La coupe en deux actes a été rétablie, avec changemens à vue obtenus par un nouveau système de machinerie et de décors tournans. L’exiguïté du théâtre a permis de réduire l’orchestre aux mêmes proportions numériques que l’orchestre de Prague, et par conséquent aux mêmes proportions de sonorités et de timbres. Les chanteurs furent d’élite ; ce qui ne veut pas dire supérieurs aux nôtres, car je ne vois ou je n’entends pas très bien des chanteurs allemands dans Don Juan, et je sais un directeur, allemand aussi, qui dernièrement à l’Opéra ne se cachait pas d’admirer et de nous envier un artiste tel que M. Renaud.

Aux moindres détails de la mise en scène, des costumes, des décors, de la représentation matérielle enfin, le directeur de Munich a donné des soins ingénieux, parfois même raffinés. L’action, d’après Da Ponte, se passe « dans une ville d’Espagne. » M. Possart a choisi la plus espagnole, Séville. Mais Dona Elvire, — d’après le livret toujours, — étant « une dame de Burgos », il a voulu qu’elle arrivât à Séville comme une voyageuse, en litière, avec un train conforme à son rang. Près d’elle et montée sur une mule, à l’espagnole, chemine sa camériste. Il sied, il faut même qu’elle soit jolie et tout de suite paraisse digne de la fameuse sérénade. Quant à la traduction du livret, si fidèle qu’elle ait pu être,

  1. Ueber die Neueinstudierung und Neuszenierung des mozartschen Don Giovanni (Don Juan) auf dem Königlichen Rezidenz Theater von München. — Von Ernst Possart ; MUnchen, 1896.