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sera toujours le compas de Boileau. Pareillement, rien de mieux réglé ni de plus attentivement harmonieux que la forme de Gautier, et rien de moins bouillonnant que le grand poète Alfred de Vigny. Bref, parmi tous les romantiques, il n’y en a qu’un qui le soit complètement et dans les moelles, s’il est vrai qu’une secousse venue des littératures du Nord ait engendré chez nous le romantisme ; il n’y en a qu’un qui byronise et shakspearise spontanément, éperdument, qui soit incohérent dans ses images, soudain et sans liaison marquée dans ses mouvemens, volontiers obscur, sincèrement effréné, un peu fou, totalement génial : et c’est Musset à vingt ans. J’ai senti cela dans la Coupe et les Lèvres, que Peer Gynt m’a fait relire ; et j’ai vu que, des deux, c’est la Coupe et les Lèvres qui est le vrai poème ibsénien. Le monologue de Franck, au troisième acte (cent quatre-vingt-sept vers) serait sublime s’il était seulement d’Ibsen. Il se pourrait, n’étant que de Musset, qu’il fût du moins admirable dans son désordre et son exubérance.

L’effort de M. Deval à traduire ce rôle si souvent fuyant de Peer Gynt a été des plus méritoires et, par endroits, des plus heureux.


JULES LEMAITRE.