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perspective ; ni que la gloire d’Athènes éclate mieux dans la douleur et les gémissemens des vaincus qu’elle ne ferait dans les péans des vainqueurs. Je ne répéterai pas non plus que cette tragédie élémentaire, lyrique surtout, à peine sortie encore de la liturgie des dionysiaques, et qui doit suffire à tout avec deux acteurs, est pourtant dramatique déjà ; et que l’attente angoissante de la mauvaise nouvelle et l’explosion de désespoir qui suit le récit du messager y sont graduées avec un art simple et puissant. Je ne m’arrêterai un peu que sur la générosité d’âme qui parait dans les Perses. On a rapproché parfois les tragédies d’Eschyle des drames musicaux de Wagner, et j’ignore ce que vaut ce rapprochement : mais, assurément, les Perses ressemblent davantage, par l’esprit dont ils sont imprégnés, aux religieux opéras de cet illustre Allemand qu’à son Siège de Paris, en dépit de l’évidente analogie du sujet.

Athènes triomphe, par la bouche d’Eschyle, avec une gravité admirable, sans vanité, sans cruauté, ayant toujours présens à la pensée et la fragilité de la condition humaine, et les dieux qui veulent l’homme modeste. Pas une seule raillerie à l’adresse du vaincu ; même, l’idée d’un lien de fraternité humaine entre la Grèce et la Perse est pour le moins indiquée dans le songe d’Atossa : « Deux femmes me sont apparues, de riches vêtemens toutes deux ; l’une portait l’habit perse, l’autre celui des Doriens. Elles venaient à moi… Toutes deux de merveilleuse beauté, elles étaient sœurs, de même sang. L’une pourtant habitait la terre d’Hellade ; l’autre venait d’Asie… » Le poète donne pour raison de la victoire des Athéniens la supériorité de citoyens libres sur les sujets d’un despote, et surtout l’intervention des divinités justes. Non nobis, Pallas Athéné, non nobis… « O maîtresse, dit le courrier à la reine Atossa, c’est un dieu vengeur qui a tout conduit. » Le merveilleux récit de la bataille (en est-il un plus beau ? et qu’est-ce, auprès, que le récit de Rodrigue ? ) est empreint d’un sentiment tout religieux : « Enfin parut la douce clarté, le jour au blanc attelage, pour luire au monde entier. Ce fut alors une clameur formidable, un hymne de bénédiction parmi les Hellènes, mâles accens répétés de roc en roc par les échos de Salamine. Trompés dans leur espoir, les Barbares s’inquiètent : car il n’était pas l’annonce de la fuite, cet hymne saint que chantaient les Grecs. Fièrement, l’âme haute, ils couraient à l’ennemi. De sa voix orageuse, la trompette enfiévrait toute cette ardeur. Au signal donné, les rames retombent de concert, frappent la mer frémissante… Et bientôt leur flotte apparaît tout entière… On pouvait entendre sur toute la ligne à la fois le terrible appel : « En avant, fils des Hellènes, sauvez la patrie, sauvez vos enfans, vos femmes, les temples de vos dieux, les tombeaux des ancêtres. Un seul combat va décider de tous vos biens. »

C’est avec respect que le poète évoque l’ombre de Darius le grand