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REVUE DRAMATIQUE

Au Vaudeville, le Partage, pièce en trois actes, de M. Albert Guinou. — A l’Odéon, les Perses, d’Eschyle, traduction de M. Ferdinand Hérold. — Au théâtre de l’Œuvre, Peer Gynt, poème dramatique en’ cinq actes, de M. Henrik Ibsen, traduction de M. le comte Prozor.

Quand il y aurait des règles absolues pour juger les ouvrages de l’esprit, et quand tout le monde les appliquerait de la même manière ; quand tous les critiques auraient les mêmes principes, le même goût, le même tempérament ; et quand, ayant eu la même éducation intellectuelle et reçu de la vie les mêmes leçons, ils auraient en eux la même mesure de la beauté littéraire et de la vérité morale (et il semble que nous nous éloignions de plus en plus de cet idéal, qui serait d’ailleurs fort ennuyeux), il resterait encore ceci, que, pour s’entendre tout à fait, ils devraient juger une même œuvre dans le même intervalle de temps, et que la différence est grande d’apprécier un livre sur une lecture toute fraîche ou sur des souvenirs déjà anciens, et de se prononcer sur une pièce de théâtre le lendemain de la représentation ou quelques semaines après. Car, à mesure que le temps passe, le sable fin des heures tend à niveler l’empreinte des objets enfuis. On commence par se souvenir de l’impression que l’œuvre fit sur nous, beaucoup plus que de l’œuvre elle-même. Puis cette impression aussi s’atténue ; ou, à tout mettre au mieux, elle se déforme, ce que nous avons le plus fortement senti s’y exagérant par l’oubli du reste, jusqu’à ce que ce dernier souvenir, qui n’est déjà plus fidèle, s’estompe à son tour. C’est tout autre chose quand la critique suit immédiatement la lecture ou l’audition : car, alors, l’émotion que nous a donnée le livre ou la pièce fait encore vraiment partie de notre vie au moment où nous les