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liquides sucrés sans qu’il soit nécessaire de les additionner de levure.

Nous ne connaissons le mode d’action de la levure que depuis les travaux de Pasteur ; c’est lui qui nous a enseigné que la fermentation alcoolique est liée à la vie, au développement, à la multiplication du petit végétal désigné sous le nom de saccharomycès. Quand on maintient à 20° ou 25° de l’eau tenant en dissolution de la glycose, des traces de phosphate et de tartrate d’ammoniaque, et qu’on l’ensemence avec quelques cellules de levure, la levure se multiplie, les cellules envahissent tout le liquide qui ne tarde pas à entrer en fermentation. Pasteur ne s’est pas borné à nous enseigner que la fermentation est due à l’activité vitale du saccharomycès, il a découvert en outre le mécanisme de la transformation de la glycose en alcool.

Pour le bien comprendre, divisons en deux parties égales un liquide dans lequel la fermentation commence à s’établir ; versons dans un vase large et peu profond la première moitié du liquide pour que l’air le baigne sur une surface étendue, plaçons au contraire l’autre moitié de la liqueur dans un flacon à col étroit, au travers duquel l’air chassé par le dégagement d’acide carbonique ne rentrera que difficilement. Procédons après quelques jours à l’examen des liquides en plaçant quelques gouttes sous le microscope, nous verrons que la levure de bière du vase largement aéré est vigoureuse, turgescente, ramifiée, en très bon état, la fermentation cependant a été très incomplète, il reste dans le liquide une quantité notable de glycose inaltérée ; les cellules de levure du flacon mal aéré sont nombreuses, mais moins florissantes que les précédentes ; en revanche la fermentation très active a fait disparaître toute la glycose.

Comme tous les êtres vivans, le petit végétal, levure de bière, a besoin d’oxygène pour respirer ; quand il se développe à l’air libre, il utilise l’oxygène atmosphérique, croît vigoureusement, mais travaille mal ; quand, au contraire, la dissolution sucrée est recouverte d’une épaisse nappe d’acide carbonique, que l’oxygène dissous fait défaut aussi bien que l’oxygène aérien, la levure emprunte l’oxygène nécessaire à sa vie au sucre lui-même, elle décompose le sucre, elle devient ferment. C’est à la suite de ses études sur la fermentation alcoolique que Pasteur a donné sa célèbre définition : « La fermentation, c’est la vie sans air. »

Depuis longtemps déjà on compare les molécules des corps composés à de petits édifices dont les matériaux sont formés par les atomes des corps simples constitutifs de ces molécules, et, de même qu’en enlevant à une voûte une des pierres nécessaires à