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sentir nous-mêmes et de penser comme les autres, sans en chercher plus long.

Les peuples sont optimistes quand ils ont le tempérament sanguin-musculaire très développé, et aussi quand ils habitent un climat riant ; ils sont du même coup disposés à sacrifier l’avenir, dont ils ne doutent jamais, au moment actuel. Ces tendances de caractère sont restées fréquentes en France. Avec la belle humeur, nous avons l’espoir facile, la confiance en nous, en tous et en tout. Le Français aime à rire. La gaieté est d’ailleurs un sentiment très sociable. Elle suppose deux conditions : la première, c’est la prédominance de l’expansion vers autrui sur la concentration en soi : le Germain, l’Anglo-Saxon n’est pas rieur. La seconde condition, c’est qu’on puisse rire et même rire des autres sans craindre de leur part longue rancune et vengeance ; il y a des plaisanteries qui coûtent trop cher : l’Espagnol, l’Italien, ne sont pas rieurs.

La volonté, chez le peuple français, a conservé le caractère explosif, centrifuge et rectiligne qu’elle avait déjà chez les Gaulois. Un physiologiste dirait que le mécanisme impulsif l’emporte sur celui de l’ « inhibition » ou de l’arrêt. Comme nos ancêtres, nous poussons souvent le courage jusqu’à la témérité, l’amour de la liberté jusqu’à l’indiscipline ; mais, notre volonté procédant plutôt par décharges soudaines que par lent travail, il en résulte que nous sommes bientôt fatigués de vouloir ; nous retombons donc à la fin sous la règle habituelle, dans la routine journalière. Un défaut des volontés spontanées, c’est la soudaineté excessive des résolutions. De là, parfois, cette légèreté et cette étourderie tant reprochées. En revanche, notre volonté spontanée et expansive a cet avantage d’être portée à la droiture par son premier mouvement. La dissimulation exige réflexion, retour sur soi et arrêt de la volonté ; les calculs de la ruse demandent une longue prévoyance et de la persévérance : nous n’avons pas la vocation. Le Français conforme au type traditionnel est sincère et ouvert par tempérament. Son imagination seule ou le désir de briller devant la galerie lui fera altérer plus ou moins consciemment la vérité : il dérange pour arranger, il brode. C’est moins souvent chez lui calcul qu’exubérance d’humeur. Il a toujours un peu du Gascon, alors même qu’il est Celte ou Franc.

Chez les natures qui ont ainsi pour caractéristique, avec une sensibilité vive, l’élan de la volonté, on peut s’attendre à une intelligence également primesautière, qui, comme un rayon lumineux, va droit devant elle sans assez regarder derrière soi ni autour de soi. La facilité est notre premier don intellectuel. Elle a ses avantages et ses dangers ; elle produit l’assimilation rapide, mais parfois peu durable ; elle entraîne une sorte de malléabilité