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UN LOTI AMÉRICAIN

CHARLES WARREN STODDARD


I

C’était à New-York, dans l’atelier de John La Farge. Je revenais d’un voyage merveilleux à travers les mers du Sud, voyage accompli non pas sur un bateau quelconque, mais en deux heures, au fond d’un bon fauteuil. Le peintre le plus original qu’ait produit l’Amérique avait fait défiler devant mes yeux ravis deux cents esquisses peut-être, toutes intéressantes à des degrés différens, bien qu’il s’excusât de les avoir souvent jetées en quelques minutes sur du papier mouillé par la pluie et la mer. Si cela est, il faut croire que les élémens déchaînés sont de bons collaborateurs qui contribuent au caractère et à la vie. Elles ont, — ces marines du Pacifique, ces études aux différentes heures du jour, des cratères d’Hawaï, des cascades de Samoa, des pics de Tahiti, des montagnes de Fiji, ces représentations de mœurs et de types, si pleines de mouvement et de couleur locale, — elles ont presque toutes figure l’an dernier à l’Exposition du Champ-de-Mars. Une salle spéciale leur avait été attribuée ; mais qui donc songe à regarder des aquarelles au milieu du tapage des grandes toiles à sensation ? Seuls, quelques critiques d’art se sont arrêtés, en s’épongeant le front, dans cette oasis rafraîchissante après tant de kilomètres de peinture, et ont dit : « Quel dommage de n’avoir ni le temps ni la place de signaler cela ! Il faudrait une exposition à part. » D’autres affectaient de n’y voir que de l’ethnographie. Plusieurs se rappelaient cependant avoir admiré naguère, dans ce même Champ-de-Mars, un La Farge, maître verrier qui a renouvelé l’art du vitrail, ce qui ne l’empêche pas de peindre de belles