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efforts personnels pour le développement de l’instruction. « Chez vous, dit-il, le peuple est éclairé. » Et comme je réponds qu’en effet, chaque village a son école où les parens sont obligés d’envoyer leurs enfans : « Obligés ? reprend-il, mais s’il arrive l’hiver que des enfans se perdent dans les neiges ?… » Il dit qu’il ne verra pas les dons de l’Empereur, qu’il est trop vieux, mais qu’il espère dans l’avenir. « Nous demandons la lumière, conclut-il avec une infinie douceur. Qu’on nous donne la lumière, et nous remercierons… »

Cependant, des chants qui nous arrivent par bribes étouffées marquent la continuation de la cérémonie ; rien qu’une porte vitrée fermant l’église nous sépare du grand spectacle, et cette glace à travers laquelle on voit sans entendre ajoute à la vision quelque chose de justement mystérieux ; on croirait regarder dans l’histoire à travers un espace de temps. L’importance du rite a crû au cours des siècles, selon l’importance même de l’investiture impériale. Ce fut d’abord un simple office auquel présidait la Vierge de Vladimir, cette image fameuse, copie du portrait peint par saint Luc, venue de Kief à Vladimir, puis à Moscou ; elle est la tutrice séculaire, l’ange gardien, la mère politique de la Russie. Après cet office, le patriarche revêtait le nouveau tsar des insignes du Monomaque ; il lui attachait une certaine croix faite des fragmens de la vraie croix. L’onction de l’huile s’introduisit ensuite ; puis l’usage de la communion reçue devant l’autel sous les espèces distinctes du pain et du vin, selon le mode sacerdotal ; ces additions successives étaient d’origine grecque. La volonté de Pierre le Grand, arrêtant d’une manière définitive ces variations liturgiques et réformant le rôle du clergé dans la cérémonie comme il l’avait réduit dans l’État, fonda à la fin ce rite russe moderne où ne se reconnaissent plus les traditions de Byzance. Dès lors l’Empereur, servi par le métropolite et non sacré par lui, parut devant l’autel en maître souverain, et, personnage divin, posa lui-même la couronne sur sa tête.

Telle est cependant la forme rituelle du grand acte accompli ici en ce moment qu’il apparaît comme une prise de charge et comme la déclaration d’un devoir. L’Empereur récite d’abord à haute voix le symbole de la foi. « Le Saint-Esprit soit avec toi, » répond le métropolite, et comme seule la parole divine peut sceller d’aussi graves accords, c’est pourquoi on lit l’Evangile. Alors, les épaules reçoivent le manteau d’hermine auquel pend le collier de Saint-André ; alors le bras fait ce geste dont l’ombre s’étend de Constantinople au pôle, de prendre la couronne et de l’élever jusqu’au front. Le métropolite n’a pu qu’étendre les