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de l’Empereur : soixante valets en livrée de parade, portant la culotte de soie rouge et, sur la bordure de leur habit tout doré un galon semé d’aigles noires ; quatre courriers, dont le petit chapeau se couvre d’une énorme chenille jaune ; deux nègres colossaux, au turban blanc, au costume rouge, des châles de prix jetés sur l’épaule ; vingt-huit chasseurs rouge et vert ; le grand veneur ; le maître des chasses ; l’orchestre des musiciens de la cour… Puis, au moment où les premiers équipages se montrent, un maître des cérémonies qui passe au galop en levant sa canne enrubannée fait partout un geste de halte, et le cortège s’arrête, trompant une impatience accrue de toute la vivacité des impressions.

L’Empereur a mis pied à terre devant la porte de la Résurrection ; il salue la Vierge d’Ibérie. C’est l’image familière mêlée depuis deux siècles à la vie de Moscou. Faisant ses visites dans sa voiture dont le cocher va tête nue, elle reçoit chaque jour bien des confidences, et, depuis le sacre du dernier souverain, sait de nouveaux secrets.

Les énormes phaétons dorés que traînent six chevaux menés en main s’ébranlent lentement ; dans l’un, les deux grands-maîtres des cérémonies du couronnement sont assis et tiennent leurs crosses verticales. Dans l’autre, l’archi-grand maître des cérémonies, prince Dolgorouky, siège seul, ayant en main sa haute masse d’or, couronnée d’une énorme émeraude. Puis une cavalcade de gentilshommes de la chambre et de camériers. Tout cela brille, étonne ; mais où donc est l’Empereur ?

Les carrosses succèdent ; dans le premier, quatre personnages, les seconds rangs de la cour ; dans les autres, les principaux gentilshommes figurant à la suite des princesses étrangères ; puis, les premiers rangs de la cour ; puis les membres du Conseil de l’Empire ; et de nouveau paraît un phaéton, celui du grand maréchal de la cour. Dans les livrées des valets, dans le type des chevaux, dans leur massif harnachement de maroquin rouge à la lourde bouderie d’or, dans les ciselures des timons, des trains, des roues, dans le costume même des dignitaires, car le costume varie moins qu’on ne suppose, pas un détail ne marque l’époque où nous vivons. N’aurions-nous pas fait un bond en arrière dans la durée, et ne serait-ce pas, par hasard, l’entrée de Catherine II dans Moscou, au 13 septembre 1762 ?… Derrière les chevaliers-gardes ont passé les uhlans à l’habit rouge amarante, au casque orné de l’aigrette blanche ; un jeune colonel s’avance isolé ; et c’est lui, c’est l’Empereur.

La troupe présente ses armes. Devant l’église de Notre-Dame de Kazan, les Images, que les prêtres portent à deux mains, le