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IMPRESSIONS DE RUSSIE


SOUVENIRS DU COURONNEMENT



I

Moscou, sous la dernière neige d’un hiver attardé, ouvre à son hôte ses rues sombres. Cinq journées s’écouleront encore avant l’arrivée de l’Empereur ; des troupes débarquent d’heure en heure, des équipes d’ouvriers achèvent de construire, de suspendre, de draper, d’enguirlander ; mais cette fièvre du jour tombe le soir ; voilà la ville rendue au rythme normal de sa vie nocturne. La voiture file au trot du grand cheval léger sous le mince harnais. Une maison se carre largement sur son étage unique et jette par plusieurs fenêtres des lueurs semblables qui traînent sur le pavé humide ; derrière les vitres d’un traktir, des garçons aux braies blanches, aux blouses blanches, passent comme des fantômes ; une église dont la porte s’ouvre toute grande montre, devant l’iconostase, auprès d’une grille de cierges allumés, un prêtre debout, une image sur sa poitrine ; des fidèles sortent de cette église ; d’autres, en passant, se découvrent ; les traits graves de leur figure se dessinent sur ce fond de lumière, tandis que la cloche sonne interrogativement et que la ville sévère élève la voix pour demander ce qu’est venu faire chez elle cet homme de peu de foi ?

Faire ce qu’on fait dans une ville inconnue, courir les musées, visiter les monumens, voir les choses rares dont il est question dans les almanachs, le tsar-kolokol et le tsar-pouchka, la cloche qui ne sonne pas et le canon qui ne tire pas ; puis porter l’uniforme français au milieu d’une foule cosmopolite, assister au spectacle merveilleux, être l’hôte de la société la plus polie, l’invité de