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d’analyse et de mécanique à l’École polytechnique. Après la mort de Navier, en 1836, les lenteurs apportées au choix du successeur donnèrent à Comte l’occasion de monter comme suppléant dans la chaire à laquelle il se croyait tous les droits. Le succès fut éclatant. Les élèves ne comprenaient pas qu’on voulût leur donner un autre maître. Le directeur des études, le physicien Dulong, jugeant surtout la forme des leçons, les déclarait admirables. Comte n’admettait pas qu’après une telle épreuve on pût lui préférer un concurrent. On lui en préféra deux : Duhamel et Liouville se partagèrent les suffrages. Duhamel fut nommé. Comte avait obtenu deux voix ; il aurait trouvé tout naturel, qu’instruit de son succès, le nouveau professeur différât son entrée en fonctions, au moins jusqu’à l’année suivante. Duhamel commença le lendemain de sa nomination. Très supérieur à Comte comme géomètre, il croyait l’être plus encore comme professeur. Dès sa première leçon, il fut conduit à contredire un des principes enseignés par Comte, qui acceptait les séries divergentes. C’était une hérésie ; il faut, pour s’y tromper, ne pas avoir étudié la question. Comte, qui, depuis sa sortie de l’école, avait enseigné les mathématiques sans les étudier de nouveau, remplaçait la discussion des questions difficiles par des méditations vagues et des considérations générales. Duhamel affirmait et démontrait. Les élèves se divisèrent. On était pour ou contre les divergentes. Les bons élèves comprenaient Duhamel ; la majorité tenait pour Comte. Le souvenir de ce petit scandale n’a pas été sans influence sur l’accueil fait plus tard aux candidatures dans lesquelles Comte alléguait le souvenir des mémorables leçons de 1836.

Auguste Comte, en 1837, fut nommé exaininateur d’admission. Cette fois encore, et dès le premier jour, il obtint la confiance et excita l’admiration. Les examens de 1837 sont restés légendaires ; on les citait comme un modèle de sagacité et de finesse. Comte apportait une série de questions bien choisies, recueillies pendant vingt années d’enseignement, assez simples pour que tout élève bien instruit pût improviser une solution, assez complexes pour que les meilleurs trouvassent l’occasion de montrer leur supériorité, assez ingénieusement semées de pièges pour que les plus habiles atteignissent seuls le but, sans avoir trébuché sur la route. La salle d’examen était, dès le matin, remplie d’auditeurs ; plus d’un maître y venait pour s’instruire ; plus d’un curieux désintéressé prenait plaisir aux drames ingénieux que Comte faisait naître. On avait rencontré l’examinateur sans défaut. Les candidats de quatrième année, laborieusement préparés aux questions routinières et banales, voyaient disparaître leurs plus