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C’est vers les fonctions de professeur de mathématiques que se tournaient désormais les ambitions et les espérances de Comte. Il écrivait à Valat, ayant alors 20 ans :

« Je te dirai que j’ambitionne d’être le plus tôt possible membre de l’Institut, parce qu’alors je serai à peu près sûr de me faire une existence commode et lucrative. »

L’Académie des sciences proposa un prix pour le meilleur ouvrage sur les mathématiques. Pendant que son maître Saint-Simon condamnait un tel sujet comme une abdication, Comte, qui n’acceptait aucune direction, trouvait le programme excellent. Modestement, il n’osait pas compter sur le succès, mais la faiblesse des concurrens possibles lui donnait bon espoir, et ses concurrens possibles alors étaient Poncelet, Chasles, Lamé, Duhamel, Savary, Clapeyron, peut-être Charles Dupin et Fresnel, qui, n’appartenant pas encore à l’Institut, avaient droit de concourir. Comte les connaissait, et quelle que fût sa modestie, il comptait sur sa force plus que sur leur faiblesse. La lutte était possible alors ; mais les concurrens s’exerçaient et renouvelaient leurs armes : Auguste Comte, pendant toute sa vie, conserva, avec le style d'un écolier, le savoir scientifique d’un bon élève.

La vie du créateur de la morale positive n’était aucunement édifiante. Il racontait à Valat ses amours, un peu embellies, il serait aisé de le démontrer, avec une femme mariée dont il évalue l’âge à 25 ans, quoique, dans son testament, où il parle de tout, il déclare que, par son âge, elle aurait pu être sa mère. On peut, à la rigueur, expliquer cette contradiction : Comte était myope ; tant qu’il fut amoureux, sa Pauline pour lui avait 25 ans ; deux ans après, quand il continuait ses relations par délicatesse, il avait aperçu ses rides et deviné ses 40 ans. Robinet et Littré passent sous silence les relations de Comte avec Pauline ; ils ont raison peut-être, mais ils parlent beaucoup de Caroline Massin, l’indigne épouse de Comte, et Littré a le tort de tromper le lecteur sur la vérité qu’il connaît, et que Comte, par écrit, lui a racontée. Comte, dit-il, se maria le 12 février 1825 ; il épousa Mlle Caroline Massin, libraire, qu’il avait connue par M. Cerclet, qui fut un des témoins du mariage.

Littré ne pouvait ignorer comment et où Comte vit pour la première fois Caroline Massin. Le 14 septembre 1819, il écrivait à Valat, parlant de Pauline qui, croyait-il, l’avait rendu père : « Pour mon amour, tu sais qu’après deux ans d’existence, il doit être bien caduc. Je me crois, par conscience, par probité et par délicatesse, obligé de continuer, même depuis qu’elle ne m’est plus aussi agréable. » Il ne continua pas longtemps, et retourna,