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tête. » Il vise et il va jusqu’à corriger non seulement le suffrage universel, mais tout le régime parlementaire. Le suffrage universel organisé assurerait au pays une meilleure représentation ; mais il faudrait lui assurer aussi une meilleure législation. Pour qu’il l’eût enfin, cette législation meilleure, il faudrait que les Chambres fussent plus représentatives (c’est où conduit notre système) et moins législatives ; pour qu’elles fussent moins législatives, avec l’importance de la loi dans l’Etat moderne, il faudrait que l’on instituât un organe spécial de législation.

Un tel organe serait utile, quelle que fût la forme du gouvernement ; mais, dans une démocratie, il est plus qu’utile, il est indispensable. Car, si « la tendance générale des choses est de faire de la médiocrité la puissance dominante[1] », cette tendance s’accuse surtout et trouve à s’affirmer dans les démocraties, — nous n’avons qu’à regarder autour de nous pour voir si la nôtre fait exception. Car, si « les peuples ne sont pas indéfiniment progressifs et cessent de l’être plus vite qu’on ne croit », c’est dans les démocraties qu’ils le sont certainement le moins ou cessent le plus vite de l’être : et c’est dans les démocraties qu’ils ont le plus pressant besoin d’être relevés, soutenus, et en quelque sorte portés au-dessus d’eux-mêmes. Livrée à son penchant, toute démocratie est une masse qui tombe. Aussi n’est-il personne qui, pour peu qu’il ait réfléchi sur la politique, ne soit d’avis qu’il n’y a pas de gouvernement « qui veuille être organisé de plus près qu’un gouvernement à très large base démocratique » et comme conclusion précise, que « tout gouvernement fait pour un degré élevé de civilisation, devrait avoir parmi ses élémens fondamentaux un corps dont les membres, peu nombreux, auraient la charge expresse de faire les lois[2]. »

Or, que nous poursuivions, que nous nous efforcions de réaliser un type de gouvernement éminemment progressif et « fait pour un degré élevé de civilisation », c’est ce dont témoignent jusqu’aux déclamations de nos orateurs de réunion publique : et, quelques-uns de ceux sur les lèvres de qui bourdonnent continuellement les mots de « progrès » et de « civilisation » en ont peut-être une idée singulière, mais quant aux qualités que doit réunir le gouvernement dans l’Etat moderne, plus ou moins consciemment, tous, nous sommes unanimes. Voulant la fin, qui est cela, il faut donc vouloir le moyen, qui est d’instituer au plus tôt chez nous ce corps expressément chargé de faire, ou plutôt de préparer, d’étudier, d’élaborer les lois, de leur donner façon et

  1. J. St. Mill, le Gouvernement représentatif, trad. Dupont-White, p. 36.
  2. Id. ibid., p. 130-131.