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l’empereur les accusations de plus en plus pressantes dont il était continuellement assailli lui-même, et, d’autre part, jeter une douche d’eau froide sur la première ardeur de la France dans son intimité avec la Russie. A-t-il atteint ce double but ? Non ; il l’a même complètement manqué. En ce qui concerne nos rapports avec la Russie, personne n’en sera étonné. Nous connaissions parfaitement ceux que la Russie avait eus autrefois avec l’Allemagne : l’important à nos yeux est qu’ils eussent pris fin lorsque la Russie a contracté avec nous. Or, il ne peut y avoir à cet égard aucun doute, puisque M. de Bismarck a eu soin de nous dire que le traité germano-russe est arrivé à son terme en 1890, et puisque la manifestation de Cronstadt n’a eu lieu que l’année suivante. À partir de ce moment, la Russie, qui avait recouvré toute sa liberté, a resserré de plus en plus les liens qui déjà l’unissaient à nous, et rien, après les manifestations de Paris et de Châlons, ne peut laisser le moindre doute sur ce que la résolution qu’elle a prise a, non seulement de loyal, mais de solide et de définitif. M. de Bismarck s’est trompé de date en décochant son insinuation. Une sincérité plus grande que celle de son temps préside aujourd’hui aux relations politiques des divers pays. Ces relations sont plus simples et probablement plus sûres. Elles inspirent de part et d’autre une confiance plus difficile à ébranler. On s’explique donc très bien que les indiscrétions des Nouvelles de Hambourg n’aient jeté aucune ombre sur l’alliance franco-russe ; mais ce qu’il est plus difficile de comprendre, c’est qu’elles n’aient causé aucun dommage à l’empereur d’Allemagne et qu’elles aient plutôt tourné en sa faveur. Nous ne jugeons pas, nous constatons. On a su gré à Guillaume II de n’avoir pas persisté dans un système d’alliances si compliqué, si embrouillé, si enchevêtré de parties et de contre-parties, de précautions et de contre-précautions, qu’on se demandait si, en tout cela, il restait beaucoup de place à une parfaite bonne foi. Cette amitié, dont chacun avait une parcelle de proportion différente, aurait eu de la peine à se reconstituer de manière à former un tout. Le trop habile abstracteur de quintessence diplomatique qui avait imaginé ces dosages subtils paraissait avoir trop bien gardé sa propre liberté en enchaînant celle des autres. Ce qui est sûr, c’est que ses révélations n’ont causé que du scandale, et que ce scandale s’est tourné tout entier contre lui. Peut-être n’est-ce pas tout à fait juste, mais il en est ainsi. La postérité n’a pas encore dit son dernier mot sur toute cette affaire, mais l’opinion contemporaine a dit le sien, et il n’a pas été à la gloire de M. de Bismarck. L’ermite de Friedrichsruhe peut gronder à son aise, ses grondemens n’ébranlent plus le monde, et lord Salisbury a sans doute trouvé le mot juste lorsqu’il en a attribué les explosions soudaines à la superstition d’une diplomatie vieillie.


Nous ne dirons qu’un mot des élections américaines. Depuis déjà