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risquait de provoquer un danger du même genre grâce à sa politique arménienne. Cela était bien propre à frapper les esprits. Un travail s’est fait effectivement dans l’opinion britannique : il restait à savoir jusqu’à quel point il s’était fait dans le gouvernement lui-même, et c’est sur ce point que le discours du premier ministre devait nous éclairer. Lord Salisbury a parlé. Il a parlé, à peu de chose près, comme M. Hanotaux. Il a déclaré avoir pris connaissance du discours de celui-ci, et en approuver les lignes générales. Il a ajouté qu’il ne voyait aucune raison pour que toutes les puissances ne se ralliassent pas autour d’une politique également acceptable pour chacune d’elles. Il a répudié toute velléité d’action isolée. On peut dire en conséquence que l’accord est fait, ou sur le point de se faire, et c’est là chose trop importante pour qu’on n’en comprenne pas toute la gravité à Constantinople. S’il y a, en effet, une différence de ton appréciable entre le discours prononcé par lord Salisbury l’année dernière et son discours d’hier, cela ne veut pas dire que le gouvernement anglais ait abandonné ses vues, mais plutôt qu’il a trouvé la France et les autres puissances prêtes à contribuer à la réalisation de ce qui en était réalisable. Sous l’influence de l’opinion générale, les opinions particulières se sont peu à peu réduites de manière à pouvoir se concilier les unes avec les autres, sans qu’il y ait eu nulle part d’abdication, ni de renoncement, et la volonté de l’Europe, pour s’exprimer sous une forme plus froide, n’en restera pas moins résolue.

Nous voudrions n’avoir que des éloges à faire du discours de lord Salisbury ; mais était-il bien nécessaire qu’il parlât de l’Egypte, puisqu’il n’avait à en dire que ce qu’il en a dit ? Lord Salisbury ne voit rien, dans la situation de l’Orient qui doive actuellement amener l’Angleterre à évacuer l’Égypte. À parler en toute franchise, nous ne voyons rien non plus en Orient qui puisse lui faire prendre cette détermination ; mais peut-être est-ce en Occident que lord Salisbury aurait dû regarder. Le vieux mot que la question d’Orient est avant tout une question d’Occident trouve ici, une fois de plus, son application. L’Égypte intéresse la plupart des puissances, à des degrés divers à la vérité, et nous en connaissons pour lesquelles cet intérêt est plus grand, plus vif, plus pressant que pour d’autres ; mais cette inégalité même dans l’intérêt qu’elle suscite fait que la question d’Égypte est une de celles qui risquent de nous diviser le plus dans des circonstances où l’union serait le plus indispensable. Sans doute, l’Angleterre est libre, pour le moment, de se réjouir de ces divisions, qui lui permettent d’user du vieil axiome : Divide ut imperes ; mais on peut prévoir d’autres cas où une entente plus cordiale pourrait devenir plus utile et être mieux appréciée. Il est fâcheux, imprudent, imprévoyant, de laisser derrière soi cette question en suspens. On ne le comprendrait que si le problème était insoluble, ou si sa solution présentait des difficultés telles que la diplomatie en