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leur exécution tient son salut et celui des siens. Les procédés de gouvernement qui l’ont conduit, ainsi que son empire, à l’état de détresse actuel, ne sauraient se prolonger sans provoquer le péril suprême. Le moment est venu pour Abdul-Hamid de le comprendre. S’il le comprend, il peut encore être sauvé ; s’il ne le comprend pas, il est perdu. L’Europe, en effet, est résolue à ne plus jouer auprès de lui le rôle de donneur d’avis platoniques. Le passage le plus important de sa déclaration est celui dans lequel M. Hanotaux a fait part à la Chambre, d’une manière discrète, mais pourtant explicite, des pourparlers qui avaient eu lieu à Paris, entre M. Chichkine et lui, pendant le voyage de l’empereur de Russie. On s’est mis d’accord, non seulement sur un programme de réformes à présenter au sultan, mais encore sur un programme d’action en vue de déterminer, s’il y a lieu, sa volonté hésitante. Ainsi, les fêtes russes ne se sont point passées exclusivement en manifestations extérieures. Toutes les questions du jour, toutes les questions du lendemain ont été discutées et réglées, et si cela est vrai pour la question d’Orient, il y a lieu de croire que cela l’est aussi pour d’autres. Mais restons dans notre sujet.

Le discours de M. Hanotaux a produit une bonne impression en Europe : on attendait, toutefois, avec quelque impatience le discours que, quelques jours plus tard, lord Salisbury devait prononcer au banquet du lord-maire. C’est une tradition en Angleterre que le premier ministre profite de cette circonstance annuelle pour parler de la politique générale, et cette manifestation devait avoir cette année une importance particulière. On se rappelle les accusations passionnées qu’il y a un an lord Salisbury a portées contre le sultan, et les menaces qu’au nom d’une justice supérieure, il a proférées contre sa personne et contre son trône. Les prophètes de l’Ancien Testament s’exprimaient de la sorte et il arrivait quelquefois que leurs prophéties se réalisaient. Depuis lors, bien des choses se sont passées en Angleterre même. L’opinion y a été non seulement émue et secouée par les événemens d’Arménie, mais encore divisée et retournée parfois en sens contraires. Après les déclamations du début, des paroles plus sages se sont fait entendre, soit que le premier mouvement se soit épuisé par sa propre violence, soit que l’attitude de la France et de l’Europe ait produit un effet d’apaisement. Enfin, la scission du parti libéral était de nature à faire réfléchir. Le parti libéral était déjà bien affaibli par ses divisions ; lord Rosebery a eu certainement des motifs graves pour s’exposer à le diviser encore davantage. Il n’a pas voulu accepter la situation qui lui était faite par l’irruption subite de M. Gladstone sur la scène politique qu’il avait paru abandonner. Ainsi M. Gladstone, après avoir opéré dans son parti, grâce à sa politique irlandaise, une première scission qui était allée, pour quelques-uns de ses membres, jusqu’à la séparation absolue et probablement définitive,