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Ce que Gaston de Latour apprit de Montaigne dans ces longs entretiens, Pater nous l’expose en un long chapitre, mais qui n’est à vrai dire qu’un éloquent et fidèle résumé du livre des Essais. Et de même le chapitre intitulé le Panthéisme inférieur, sous prétexte de nous montrer une phase nouvelle de l’éducation de Gaston de Latour, consiste à peu près uniquement dans l’analyse des écrits philosophiques de Giordano Bruno. Tout au plus l’auteur a-t-il pris la peine d’imaginer que, au lendemain du couronnement d’Henri III, Gaston assiste, à la Sorbonne, à, une leçon du dominicain italien sur les Ombres des Idées ; mais durant tout le chapitre c’est de Bruno seul qu’il est question, et de son panthéisme, sans que nous voyions en quel degré l’esprit inquiet et mobile du jeune homme en subit l’empreinte. Parvenu à cet endroit de son roman, Pater, je suppose, aura tout à fait oublié qu’il écrivait un roman : et peut-être, quand ensuite il se l’est rappelé, se sera-t-il dit qu’il était tard pour rebrousser chemin ! Toujours est-il qu’après ce chapitre sur Bruno, il n’en a point écrit d’autre. Jamais nous ne saurons par quelles voies son héros s’est trouvé ramené à la foi tranquille de ses premières années, ni les haltes qu’il a faites avant d’y revenir.

Il n’en reste pas moins certain — et cette rapide analyse suffira sans doute à le faire sentir — qu’il a tenté là un très noble effort. A la façon dont il avait d’abord rêvé de le traiter, à la façon dont il l’a traité dans les cinq premiers chapitres, son Gaston de Latour, s’il l’eût achevé, aurait été le plus beau des romans philosophiques. Tous les aspects du grand problème moral y auraient été envisagés tour à tour, sous une forme vivante et concrète, avec l’attrait supplémentaire d’un récit ingénieusement combiné. Et quand même nous devrions admettre que c’est la difficulté de l’entreprise qui a empêché Pater de la mener jusqu’au bout, la chose n’aurait rien que de naturel.

L’entreprise, en effet, était trop difficile. Il y fallait, avant tout, une attention constante à concilier l’élément philosophique avec l’élément romanesque, et à ne penser, pour ainsi dire, qu’à travers le cerveau de Gaston de Latour. Il fallait connaître à fond la vie et les mœurs françaises de la Renaissance, les connaître à la fois du dehors et du dedans, sous peine de fausser la couleur du récit. Et ce n’étaient encore que des difficultés secondaires. L’obstacle principal était dans le sujet même, dans la nécessité où se trouvait Pater de l’aborder cette fois bien en face, et de le pousser résolument à ses dernières conséquences.

Car si, pour le Romain Marius, le christianisme pouvait signifier simplement une doctrine de résignation et de charité, le renoncement