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ecclésiastique, ne pensa plus qu’à faire goûter à Gaston les fruits de son jardin. Il ne manqua point, toutefois, de lui désigner en passant, sur les murs de son cabinet de travail, de nombreux témoignages de sa gloire littéraire : depuis cette Minerve d’argent que lui avait offerte en hommage l’assemblée des Jeux floraux, — et qu’il avait à son tour voulu offrir à son roi, — jusqu’aux portraits de ses maîtresses et à son propre portrait, où le célèbre Clouet l’avait représenté en triomphateur romain, la poitrine couverte d’une cuirasse incrustée d’or, sous un manteau de pourpre, et les cheveux ceints de la couronne de laurier. « Et à mesure qu’il le voyait davantage Gaston s’étonnait davantage de le trouver si vieux. A quarante-six ans, c’était comme s’il eût fini de faire partie des vivans. » Il n’y avait pas même jusqu’à son flair de jardinier qui ne fût en défaut : car la neige, qu’il avait annoncée, ne se montra point, et c’est par une belle matinée toute claire que, le lendemain, le jeune homme quitta le prieuré, avec l’impression d’y laisser comme une partie de ses rêves.


Frappé de sa mine réfléchie, et, sans doute, ayant deviné dans ses yeux une âme que la poésie, à elle seule, ne pouvait pas satisfaire toujours, Ronsard lui avait confié, en le congédiant, une lettre qu’il l’avait prié de porter à un gentilhomme de ses amis, M. Michel de Montaigne. Mieux encore que lui-même, celui-là connaissait les auteurs anciens, unique source de toute sagesse comme de toute beauté ! Et Gaston, peu de temps après, se mit en chemin pour l’aller voir à son tour. Un doute lui était venu, précisément, dont il espérait que ce savant humaniste pourrait le guérir. A force de se pénétrer de la religion de la pure beauté, il avait découvert que cette religion nouvelle était incompatible avec ses croyances d’autrefois, et que le choix s’imposait à lui entre deux idéals opposés. Car il n’y avait point de place pour la distinction du bien et du mal, dans un culte qui divinisait la beauté physique. Le mal, lui aussi, « avait ses fleurs » ; et l’âme naturellement chrétienne du jeune homme se demandait si elle pouvait, sans pécher, consentir à cette consécration de l’immoralité. Ou plutôt il eût voulu se décider, dans un sens ou dans l’autre, tant son doute lui pesait. « Ne trouverait-il point quelque part, dans quelque pénétrant esprit de ce temps nouveau, un indice de vérité, une science de l’homme et des choses capable de mettre d’accord en lui ses préférences anciennes et celles d’à présent, son amour sacré et son amour profane ? » C’est cela qu’il s’attendait à trouver chez Michel de Montaigne, sans supposer qu’il y trouverait seulement, comme il avait fait dans les Odes de Ronsard, un reflet agrandi de sa propre pensée.

Dans des pages exquises de couleur et de poésie, Pater nous raconte ensuite le voyage de son héros à travers la Touraine, le Poitou, et la