Parfois il s’abandonne (comme Samson), parfois il se révolte et, d’une main brutale, déchire le voile qui lui couvre les yeux : ainsi notre peintre et Olivier de Jalin. Pendant un instant, il y voit clair, il a l’air assagi. Soyez bien sûr que c’est une lueur de bon sens passager : il recommencera. Si Samson n’avait pas renversé d’un coup d’épaule le temple des Philistins — et s’il en avait retrouvé l’occasion — il aurait rapporté ses yeux saignans aux baisers de la traîtresse. Pareillement, si le peintre et le maréchal retrouvent la reine, ils lui donneront une deuxième représentation de leur petite comédie, pour peu qu’elle ait la moindre envie de les y pousser ; s’ils ne la retrouvent pas, ils en trouveront une autre, aux genoux de laquelle se répétera leur manège, — qui n’a d’ailleurs rien de commun avec l’amour, dont ils tâchent en vain de donner des définitions. Et cela ira ainsi aussi longtemps qu’il y aura des hommes et que ces hommes seront gouvernés par leurs désirs. Et cette perpétuelle défaite, cette faiblesse, cette lâcheté qui, selon les circonstances et les âmes, sème des ruines ou fait sourire, — c’est à coup sûr le trait le plus réel, le plus évident, de « l’éternel masculin ».
Mais je crains que M. Sudermann ne l’entende point ainsi ; je crains que cet « éternel masculin », qu’il peut revendiquer l’honneur d’avoir baptisé en s’appropriant un mot fameux, ne lui apparaisse comme quelque chose d’infiniment respectable, de très élevé ; je crains qu’il n’ait enfermé dans sa pièce une « morale », et, si je l’ai bien comprise, alors, je suis avec les siffleurs. Je regarde sortir ensemble, bras dessus bras dessous, les deux rivaux réconciliés ; je rêve sur leurs dernières paroles, je cherche à en presser le sens… Est-ce que vraiment elles disent ce qu’elles ont l’air de dire :
— Mais nous, sortons dans l’espace en fleurs pour travailler dans la joie…
— Et pour combattre !
Ces paroles, que l’auteur a pesées avec soin, dans lesquelles il a certainement enfermé « l’idée » de sa pièce, ne peuvent signifier que ceci : l’essentiel de l’homme, ce ne sont pas ses pensées, ce ne sont pas ses sentimens, — ce sont ses actes, c’est son métier, peindre s’il est peintre, tuer s’il est soldat, scier du bois s’il est charpentier, tirer l’alène s’il est cordonnier. En dehors de ces occupations sublimes, il n’est capable que d’ « âneries ». Son humanité, c’est d’être, suivant le hasard de sa naissance, un bon pâtissier ou un bon général, un bon artiste ou un bon comptable. Ce qu’il y a d’éternel en lui, c’est la part qu’il fait à ses fonctions, en tant qu’elles absorbent son activité. Qu’il travaille : quel que soit son travail, le seul fait qu’il l’exerce le dispense d’aimer et de rêver. Ai-je besoin de dire que pas un instant je