Page:Revue des Deux Mondes - 1896 - tome 138.djvu/443

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

inconnu qui s’esquisse aux yeux du guerrier, élu chef en une heure de désespoir, ployé jusqu’alors sous l’unique souci de sauver ceux qui ont mis en lui leur confiance, condamné souvent à paraître cruel, à recueillir la haine. Trop tard : il s’arrêtera sur le seuil de cette terre promise, il partira avant l’aube à la tête de la troupe qu’il conduit à la mort, sans un mot de regret, sans un regard de faiblesse. — De cette première pièce, il y a peu de chose à dire : faite pour une seule scène — le duo des deux fiancés — ce n’est pas sans artifices qu’on est parvenu à la rendre possible ; et si elle dégage effectivement l’impression d’héroïsme que l’auteur a cherchée, c’est au prix d’arrangemens souvent si laborieux qu’ils surprennent plus qu’ils n’émeuvent.


Fritzchen nous ramène à notre époque. Le succès, dit-on, en a été très grand. L’œuvre le mérite : elle est solide dans sa brièveté, bien conduite et touchante.

Le lieutenant Fritz von Drosse est un bon jeune homme, très tondre, très sentimental. Il n’aurait demandé qu’à épouser sa petite cousine Agnès, la sœur d’adoption qu’élève son père, le major en retraite von Drosse, et qui soigne sa mère, malade, impressionnable à l’excès, un peu faible d’esprit. Mais le major, qui dans son beau temps a mené joyeuse vie, estime qu’il n’est pas bon pour un officier d’entrer trop tôt dans le mariage, et donne à son fils le conseil de s’amuser pendant que sa petite cousine achève de devenir raisonnable. Tout en correspondant en cachette avec la bien-aimée, Fritz s’efforce d’obéir aux conseils paternels. Il s’amuse. Oh ! médiocrement, sans enthousiasme, n’ayant point l’âme à ses plaisirs. Mais enfin, il fait de son mieux pour s’amuser. Il noue une liaison avec une certaine Mme Lanski, personne mûre et légère, fort compromise déjà, et qu’il trouve moyen de compromettre encore davantage ; car il est maladroit, cela va sans dire, tourmenté sans doute par de fâcheux scrupules, enclin à gâter son affaire en y apportant plus de sentiment romanesque qu’elle n’en comporte. Tant et si bien que M. Lanski le cravache en pleine rue. C’est un scandale, et c’est un duel. Or, M. Lanski est de première force au pistolet. A supposer même qu’il manque son adversaire, celui-ci n’en serait pas moins perdu, car après un esclandre pareil, il ne saurait rester à l’armée. Le pauvre garçon comprend donc qu’il n’a plus qu’à mourir proprement, de la balle du mari outragé, et que c’est même ce qui peut lui arriver de mieux. Il revient pour la dernière fois dans la maison paternelle : sans en avoir l’air, il fera ses adieux à sa mère, dont il faut ménager la demi-inconscience jusqu’à la dernière minute, à son père, à la pauvre Agnès. Il ne