indigènes eux-mêmes ! Heureuse la nation qui a produit un tel homme !
Mardi soir.
Je vois passer dans la rue un petit homme aux cheveux gris, aux yeux fixes, à la figure émaciée et qui marche comme un halluciné. On me conte son histoire. C’est un colon d’Atacama, un Européen, possesseur d’une mine d’argent, dont les minerais s’appauvrissent de jour en jour. Il y a vécu vingt ans, dépensant au fur et à mesure son maigre gain, toujours hypnotisé par un introuvable trésor, qu’il sentait sourdre sous ses pieds. Son âge mûr s’est consumé en ivresses solitaires, au milieu des sables. Et, sur le seuil de la vieillesse, tout à coup l’amour, la passion l’a pris et enserré. Il aime, il veut se marier, et, pour obtenir celle qu’il convoite, il rêve la fortune et s’acharne contre sa mine. On l’a vu courant de Valparaiso à Santiago, quêtant partout des capitaux, vantant les merveilles que recèle son terrain et auxquelles il croit, le malheureux ! Il appelle des ingénieurs, les héberge, leur arrache des promesses, des espérances, un peu de vie pour son cœur. Les uns essayent vainement de lui représenter que son filon, qui fut toujours pauvre, ne s’enrichira pas pour les besoins de sa cause. Les autres — et j’en connais — trouvent ses vins capiteux et attisent l’ambition dont il est dévoré. Il emprunte, s’endette, arme des équipes de péons, palpe désespérément les gangues qui sortent de son puits. Parfois sa surexcitation tombe ; l’alcool même est impuissant à le ranimer : il se couche sur le sable stérile de sa propriété et s’y roule comme un amant sur le lit de l’infidèle.
Nous partons demain pour les grandes mines d’argent de Palacayo en Bolivie. Nous traverserons le désert d’Atacama et nous escaladerons les Hauts Plateaux en chemin de fer.
ANDRE BELLESSORT.